Rosaleen Norton

une auto-biographie (1)


Ici, pour la première fois depuis des siècles, une sorcière rédige une confession complète où elle révèle ses pouvoirs étranges et diaboliques.

Je suis née Sorcière
par Rosaleen Norton in Australie Message du 3 janvier 1957
version française Tof

 

La véritable histoire de la « Sorcière de Kings Cross », une femme qui a pratiqué ouvertement la sorcellerie depuis son enfance. Voilà ce qu’elle a écrit, pas un mot n’a été modifié.

J’ai été décrite comme excentrique, décadente, exhibitionniste, non-conformiste, géniale, sorcière, monstre et ainsi de suite, que ce soit lors de déclarations publiques ou au cours de conversations privées.
Oui, je suis toutes ces choses et je suis heureuse de l’être.

Depuis l’âge de 15 ans, diverses personnes tristes et bien pensantes m’ont prophétisé une mort prématurée dans des circonstances pénibles ... « Tu seras mortes avant d’atteindre 20 ans ... 25 ans ... 30 ans ... et ainsi de suite.
Eh bien, là j’ai 38 ans (peut-être pas « avec toutes mes dents » mais je suis pourtant bel et bien là) et j’ai vécu bien plus que ne vivront normalement la plupart des gens au cours d’une dizaine de vies et je suis certaine que ça a été comme ça uniquement à cause des particularités de mon tempérament, celles qui m’ont valu ces qualificatifs.
Donc, si je devais faire plaisir à ces prophètes (un peu tardivement) en tombant raide morte, au moins ce serait sans regrets et avec la satisfaction d’avoir profité au maximum de la vie - et peu de gens, je pense, pourraient honnêtement en dire autant.
Mon style de vie a été formulé lorsque j’avais 14 ans. C’était : « Expérimenter tout ce que je pouvais, que ce soit bon, mauvais ou indifférent et l’exprimer pleinement dans ma vie et mon art. »
Un numérologue a travaillé sur mon nom lorsque j’étais enfant, le résultat principal était que ma « vie et mon travail seront éloignés des sentiers battus » ce qui depuis s’est révélé être étonnamment exact.
Mais, il serait peut être préférable de commencer par le commencement, et incidemment ma vie a commencé sous un signe approprié qui présageait une carrière orageuse. Je suis née à Dunedin en Nouvelle-Zélande, à 4 heures du matin lors d’un violent orage. Peut-être que cela explique en partie pourquoi toute ma vie, j’ai tant aimé la nuit et les tempêtes.
Les tempêtes suscitent en moi une exaltation particulière, une sensation proche de l’ivresse. La nuit est pour moi le moment où toutes mes perceptions sont à l’affût, c’est là que je me sens le plus éveillée et que je travaille le mieux. Cette particularité a été un point perpétuel de discorde avec ma mère, car me persuader d’aller au lit n’était pas une tâche facile – pas plus que de me réveiller le matin.

« Animaux-Rien »
Déjà à l’âge de quatre ans je poussais des hurlements de détresse et de fureur lorsque j’entendais les mots « bonne nuit ». Finalement la famille a dû se résoudre à dire « Bona Nox » à la place, apparemment je jugeais cela plus acceptable que « bonne nuit ».
Mes premiers dessins, vers l’âge de 3 ans représentaient surtout des créatures appelées « Animaux-Rien » et « Flippers », que je connaissais très bien, pour moi il s’agissait de présences. Les « Flippers » ressemblaient plutôt à des fantômes classiques avec un drap et ils m’étaient hostiles, mais ils étaient tenus à distance par mes amis et protecteurs, les « Animaux-Rien », qui avaient une tête animale surmontant une masse de tentacules de pieuvre avec lesquels ils semblaient nager dans l’éther.
A propos d’apparitions, diverses manifestations psychiques, à la fois subjectives et objectives, ont toujours fait partie de ma vie et je les accepte donc sans me poser de questions comme faisant partie de l’ordre naturel des choses.
Parmi quelques exemples typiques de ma prime enfance on peut citer une « dame en robe grise » fantomatique qui était souvent debout à côté de mon lit quand j’avais 5 ou 6 ans, l’apparition d’un dragon brillant (lorsque j’avais 5 ans) qui, avec d’autres éléments de ce genre avait, comme je l’ai découvert plus tard, une symbolique profondément significative pour les occultistes, et un rêve de petite une maison à panneaux de bois entourée d’arbres, appelée « The Railway Cottage », que j’ai découverte dans la vie éveillée trois ou quatre mois plus tard à Chatawood, une banlieue que je n’avais pas encore visitée au moment de mon rêve.
Ma seule réaction en découvrant « The Railway Cottage » fut un sentiment de « Oh oui, c’est bien elle. »
Puisque l’on parle de psychisme, il faut mentionner une expérience récurrente des mes premières années, une forme d’état de transe semblable à ceux expérimentés dans certaines formes de yoga. Mon nom pour cela était « Grandes Choses », et cela commençait toujours par un état de flottement, comme une désincarnation. Puis il y avait un sentiment de grandissement et d’expansion. Je devenais de plus en plus grande, jusqu’à atteindre une taille tellement inconcevable qu’elle cessait d’exister et j’englobais toutes les choses et j’étais partout.
Après une nouvelle très longue pause il y a à nouveau du mouvement, cette fois une contraction et un rétrécissement, jusqu’à ce que je retourne à mon point de départ, mais le sens de rétrécissement persistait toujours. Puis, progressivement je devenais de plus en plus petite, jusqu’à devenir trop petite pour exister, un rien du tout qui était pourtant toujours sensible. Bientôt j’ai à nouveau eu le sentiment de grandir, de croitre jusqu’à ma taille normale et ainsi de suite. C’était un rythme faisant penser à sorte de respiration puissante.

A sept ans, deux petites marques bleues très rapprochées sont apparues sur mon genou gauche, et elles y sont toujours. Depuis, j’ai appris que deux (voire trois) points bleus ou rouges, proches les uns des autres, sur la peau sont parmi les marques traditionnelles de sorcière.

Bien sûr, je ne le savais pas à l’époque. Je me souviens les avoir remarquées l’année où nous sommes arrivés en Australie et je me demandais ce que c’était. Ils semblaient être importants d’une certaine façon que je ne pouvais définir.
En 1924, ma famille s’est installée en Australie, à Lindfield, une banlieue de Sydney, où j’ai vécu les dix années suivante. L’enfance a été pour moi tout le contraire du « plus beau moment de la vie », comme la qualifient les sentimentaux. Je me souviens que c’était une période généralement ennuyeuse d’épreuves insensées, d’adultes indiscrets, d’enfants détestables ou déprimants que je devais aimer, et de mes parents qui me faisaient des reproches.
Je ne voyais que relativement peu mon père qui était en mer la plupart du temps. Il était capitaine dans la marine marchande. Il était d’ailleurs cousin avec Vaughan Williams, le compositeur, avec qui il a un fort air de famille, ils ont la même carrure et se ressemblent beaucoup. Ma mère était une femme traditionnelle et très émotive, bien trop absorbée par sa famille, pas du tout comme moi, toute tentative de relation agréable entre nous deux était vouée à l'échec.
Non pas que j’aie fait une telle tentative, pour être franche l’affection familiale en tant que telle n’a jamais eu aucune signification pour moi et même si j’aimais beaucoup deux de mes parents - ma sœur aînée et une de mes tantes – c’était parce que je les considérais comme des amies plutôt que des parentes (et c’est toujours le cas).

Araignée de Garde !
Lorsque j’étais enfant mon but principal était d’avoir le plus d’indépendance possible. Dans ce but j’ai entamé une grève de la faim pour avoir le droit de prendre mes repas toute seule (j’aimais les prendre sur le toit et dans d’autres endroits bizarres). Après quelques jours ma mère a capitulé – elle n’avait apparemment pas réalisé que j’avas accès à une armoire à provision bien garnie. Peu après cela, je me suis procuré une tente qui, plantée dans le jardin, est devenue mon dortoir jusqu’à ce qu’elle tombe en lambeaux trois ans plus tard.
Une grande araignée nocturne velue, de celles qui tissent des toiles, s’est rapidement mise à tisser sa toile devant la porte ouverte de la tente. Je me suis prise d’affection pour l’araignée que j’avais baptisée « Horace », sans me demander si c’était un mâle ou une femelle, car elle me protégeait à elle seule.
La plupart des membres de ma famille avait très peur d’Horace, je pouvais donc y rester jusqu’au matin si j’en avais le désir, sans risquer d’être interrompue tant qu’Horace tissait sa toile circulaire sur l’ouverture de ma tente.
Oui, même à l’âge difficile qu’est la jeunesse, la vie avait son quota d’intérêts et de plaisirs. En dehors de mon propre monde intérieur, il y avait le dessin de petits animaux. J’ai toujours eu des hordes d’animaux de compagnie; des chats, des souris, des lézards, des cochons d’Inde, un opossum, un échidné, une chèvre, des tortues, des chiens, des crapauds et toutes sortes d’insectes furent parmi les créatures que j’ai ramenées à la maison. J’aimais aussi beaucoup lire et j’avais une passion pour tout ce qui est saugrenu ou fantastique, et ça n’a pas changé.
J’étais aussi fascinée par la zoologie et l’entomologie, que j’ai étudiées pendant quatre ans à la fois dans la vie et dans les manuels scolaires avec une attention beaucoup plus grande que pour toute autre matière scolaire.
A 9 ou 10 ans j’aurais aussi pu répondre à un quiz sur les animaux préhistoriques avec de bonnes chances de gagner le jackpot. Vers cette époque, un ami de la famille a voulu m’inclure dans un groupe de scientifiques adultes qui se rendaient à la barrière de corail pour étudier la vie marine.
Le groupe dont mon protecteur était membre m’avait acceptée après avoir vu quelques unes de mes notes entomologiques, mais ma mère, pour une raison obscure, n’a pas voulu.
A côté de ces activités studieuses j’étais aussi co-leader (avec une autre petite fille) d’une bande de gamins turbulents avec qui nous faisions les 400 coups dans le quartier.
Pour être admis dans la bande il fallait pénétrer par effraction dans une maison étrange, et participer à une cérémonie macabre où l’on était marqué au fer rouge. Bien que les voisins exaspérés se soient plaints à la police locale des intrusions et des nuisances en générale, curieusement nous n’avons jamais rien dérobé à nos hôtes involontaires – sauf si le fait de libérer un groupe de pigeons mis en cage par le chef de gare de la ville puisse être considéré comme du vol. Ma motivation était une sympathie noblement désintéressée pour les pigeons qui, à mon grand dégoût, sont retournés en toute confiance à leur cage un ou deux jours plus tard.
Cet épisode me rappelle une histoire plus ancienne où, lorsque j’étais toute petite j’avais fait sortir les lapins angoras des voisins de leurs cages (non sans peine) et je les avais libérés dans un champ voisin. Dans mon esprit d’enfant j’avais la sensation vague qu’une cage n’était pas ce qu’il leur fallait.
Instinctivement la proximité et la sympathie avec des animaux - sauf pour la variété humaine font partie intégrante de ma personnalité, je déteste voir qu’on se conduit mal avec eux d’une façon ou d’une autre et la cruauté envers les animaux est l’une des rares choses qui fait littéralement voir rouge.
Cette réaction m’a causé beaucoup plus d’ennuis que j’aurais du en avoir au cours de toute ma vie, car je suis poussée à intervenir au nom des animaux, parfois avec les poings, les ongles, les dents ou d’autres armes. Mais mon sentiment n’est pas à sens unique, car la plupart des animaux, sauvages ou domestiques, m’accordent leur confiance, que ce soit un tigre semi-sauvage de cirque, qui n’acceptait pas que ses soigneurs s’approchent trop près de lui, à une grande anguille d’eau douce vivant dans un ruisseau à French’s Forest dans la banlieue de Sydney.
L’anguille était dans une eau peu profonde et me laissait la caresser du bout des doigts après deux ou trois visites où je lui avait offert de la viande de souris, mais elle était très méfiante vis-à-vis d’un ami à qui je l’avais montrée et il n’a jamais pu la toucher ou l’approcher alors que nous allions régulièrement lui rendre visite.
Pour le tigre, j’ai, par inadvertance, créé un petit chahut lors de ma première et dernière visite au cirque. Ayant échappé à la personne qui m’accompagnait, un préposé m’a retrouvée alors que je caressais le tigre qui s’était appuyé contre les barreaux largement espacés de sa cage, apparemment il aimait beaucoup mes caresses. (En passant, le tigre est un de mes porte-bonheur et lorsque j’étais étudiante en art on m’appelait Tiger).
Toucher les petits animaux était quelque chose que je pouvais faire lorsque j’étais enfant, souvent cela surprenait les gens qui me harcelaient de questions pour savoir comment je faisais cela. En fait j’avais la capacité de faire que les papillons se posent sur mes mains aussi longtemps que je le voulais. On ne peut pas expliquer avec des mots comment je le faisais, j’utilisais une faculté intérieure particulière. Si je me souviens bien, les insectes devaient être au maximum à quelques mètres de moi et je devais pouvoir les voir.
Je ne sais pas si ça aurait aussi marché avec d’autres insectes volants. Cependant, comme je n’avais nullement le désir d’inciter les frelons, les guêpes et d’autres insectes du même genre à se poser sur moi, je n’ai jamais tenté l’expérience.
A l’école j'étais impopulaire, en général la plupart de mes contemporains me considérait avec un mélange de dégoût, de dérision et de peur.
Mais, alors que j’étais encore à l’école primaire j’ai découvert une méthode très efficace de faire face à des manifestations hostiles. Il fallait juste regarder silencieusement et fixement l’adversaire du moment, suivre l’enfant toute la journée, deux jours, ou plus si nécessaire.
En persistant de la sorte l’enfant en question devenait hystérique, et une fois un élève a du quitter l’école car il s’est mis à souffrir d’un trouble nerveux.
Le mieux avec cette méthode c’était que si on me demandait ce que j’avais fait à la petite Peggy ou à Betty ou à Marjorie, je pouvais (et je le faisais) répondre en toute vérité : « Rien du tout. Je la regardais et elle s’est soudain mise à pleurer » - ce qui était généralement confirmé, entre autre, par la victime.
En dépit de ma mauvaise réputation, la plupart des enseignants m’aimait bien - en grande partie, je pense, parce que, à leur corps défendant, certaines de mes activités les amusaient.
Il y a eu, par exemple, la fois où on m’avait emmenée voir la pièce « Dracula » au Théâtre Royal, j’étais devenue une inconditionnelle de Dracula pendant des semaines. J’avais le béguin pour ma sinistre idole, un peu comme aujourd’hui les filles sont amoureuses d’Elvis le Pelvis ou de Marlon Brando.
J’avais engagé une troupe de quatre actrices, pas tout à fait volontaires, en les soudoyant, les menaçant et les persuadant. Nous jouions quotidiennement vers midi une version encore plus sanglante et étrange de la pièce (adaptée par moi-même). Notre théâtre était la grande salle située juste devant l’endroit où mangeaient les pensionnaires.
Je jouais le rôle-titre, drapée dans des chiffons pour essuyer le tableau noir et deux parapluies ouverts pour figurer les ailes, et très vite, les autres membres de la troupe se sont eux-aussi passionnés pour leur rôle.
Le spectacle a été stoppé après la troisième représentation par une enseignante furieuse qui a dit que les cris « Donne-moi du sang à boire » et les hurlements empêchaient les pensionnaires de manger et qu’en outre ce genre de chose était morbide et devaient cesser.
L’idée d’une telle interruption au beau milieu de notre pièce fut un outrage à mon sens artistique, et ça ne pouvait être toléré - et puis, me souvenant qu’il y avait un fort vent toute la journée, j’ai eu une idée.
En toute hâte j’ai rassemblé mes spectateurs et je leur ai dit d’attendre dehors, devant la fenêtre de la salle après l’école et qu’ils verraient « Les Adieux de Dracula » lors d’une performance très spéciale.
Et ils m’ont vu avec mes deux parapluies émergeants d’une fenêtre à 6 mètres de hauteur et – loin de m’envoler dramatiquement grâce à mes ailes je me suis écrasée lamentablement au sol pas du tout ce qu’aurait fait Dracula.
« Bon, » je me suis dit tristement alors qu’on m’aidait à m’éloigner de la scène, « au moins c’était une performance extraordinaire ! »

 

 

Retour