La Villa des Mystères

par Gerald Gardner

version française Ameth

Dans son ouvrage savant « la Villa des Mystères », le Professeur Vittorio Macchioro a dit à ce propos : « le mystère est une forme particulière de religion qui a existé dans toutes les cultures antiques. Chez les primitifs, le mystère conserve toujours une importance considérable. Son essence est la métempsycose mystique, c'est-à-dire une régénération amenée par la suggestion. Si elle est parfaite, cette métempsycose devient une véritable substitution de personnalité : l'homme est investi de la personnalité d’un Dieu, d’un héros ou d’un ancêtre, en répétant et reproduisant les gestes et les actions que lui attribue la tradition ».

Seules les déités qui ont leur propre histoire mythique portent en elles les éléments d’une nouvelle naissance. Déméter, Dionysos, Isis, Atys et Adonis peuvent conférer cette métempsycose ; l'identification du moi avec la divinité provient de la conception spéciale que les grecs avaient des relations entre la vie et la mort. Le candidat passe par le mythe divin, en revivant la vie du dieu et passe avec le dieu de la douleur à la joie, de la vie à la mort. Le professeur Macchioro dit :

« Tous les mystères fonctionnaient de la même façon. Ils consistaient en un drame sacré et une série d'actes rituels, qui reproduisaient les gestes et les actions attribuées à la Divinité. C'est le principe de l'Eucharistie, manger le pain et boire le vin pour s'identifier avec ce qu’Il a fait : ce n'était pas un drame objectif, mais un drame subjectif, son essence étant de répéter ce que la tradition disait que Dieu avait fait ».

L’initié a été amené jusque là par un enseignement préliminaire, qui sera intensifié par des visions et des suggestions extatiques conduisant l'initié, lui-même un acteur du Mystère, à la communion avec Dieu. Les drames sont devenus un véritable événement dans la vie de l'homme, comme le sacrement le transforme complètement et lui assure le bonheur après la mort. Dans un premier temps, le Mystère était une cérémonie purement magique, mais avec le temps il a acquis un contenu spirituel et moral. Les religions à mystère avaient une influence énorme sur la conscience grecque, ce qui leur a permis de comprendre la valeur du message chrétien.

L’Orphisme était le plus important des mystères. Il tirait son nom de son fondateur mythique. C'était une forme particulière de religion orgastique et extatique qui trouve son origine dans l'adoration de Dionysos. L’Orphisme consistait à revivre le mythe de Dionysos. Zagrée, fils de Zeus et de Koré (Persephone), est, à l'instigation de Héra, tué par les Titans qui le déchirent en morceaux et le dévorent à part son cœur qu'Athéna parvient à sauver. A partir de ce cœur né le second Dionysos, fils de Zeus et Semele. La métempsycose consistait ici dans la mort et la renaissance en Zagrée.

L'humanité est née des cendres des Titans frappés par la foudre de Zeus, qui les a punis de leur crime. Voilà pourquoi tous les hommes portent le fardeau du crime des Titans. Mais comme les Titans ont dévoré Zagrée, l'homme a aussi en lui la nature de Dionysos. Les théologiens ont dit que l’homme devait se libérer de sa nature Titanique pour s’unir avec son côté Dionysiaque par l'intermédiaire des mystères.

Les Mystères Orphiques ont eu une grande signification morale et spirituelle et une grande influence sur des gens comme Héraclite, Pindare et Platon. Lorsque le Christianisme s'est étendu, c'est l’Orphisme qui a fourni les principes de base à la théologie de Saint Paul.

L’Orphisme est rapidement entré en contact avec le culte rural d’Eleusis, dont les mystères étaient célébrés sans élément extatique et orgiaque. Ce contact avec l’Orphisme a transformé le culte en y ajoutant l'idée de rachat, et de cette fusion sont nés les Mystères d’Eleusis tels qu’ils furent connus dans l'antiquité. Ils étaient divisés en deux parties, l'Orphisme qui se concentrait autour de Zagrée que l’on célébrait à Agrai, une banlieue d'Athènes, et que l’on appelait « les Petits Mystères », et les Mystères d’Eleusis qui se concentraient autour de Déméter et Koré et qui étaient célébrés à Eleusis même et que l’ont appelait « les Grands Mystères ». Les premiers Mystères n’étaient que la préparation nécessaire pour accéder aux seconds. En permettant une réincarnation en Zagrée, l’initié était, dans sa nouvelle vie, digne d'avoir l'accès à l'enseignement plus élevé des grands mystères.

Protégés par l'état, glorifiés par les artistes et les poètes, les Mystères étaient le centre de la vie grecque et se sont développés sans interruption du huitième siècle avant notre ère jusqu’en l’an 396 quand Eleusis a été détruit par les moines. Les secrets, protégés conformément à la loi, ont été respectés ; nous n’en savons ainsi que très peu des Petits et des Grands Mystères. Lors des Grands Mystères, le dernier jour, la vision suprême couronnait une série de cérémonies. Des chercheurs ont fait de nombreux efforts pour découvrir ce qui se passait lors des Mystères. La découverte de la Villa des Mystères a un peu levé le voile.

Elle se trouve dans la rue des Tombeaux à Pompéi, à l'extérieur de la Porte Stabia. Elle se divise en deux parties séparées par un couloir.

La partie au Nord-Est ressemble à une maison pompéienne ordinaire ; la partie au Nord-Ouest est arrangée de manière étrange. Ce grand hall était à l'origine un Triclinium (la salle à manger) et les deux petites pièces étaient à l'origine des Cubiculi (des chambres à coucher). Elles ont toutes subi des modifications pour les adapter à une autre destination que celle pour laquelle elles avaient été bâties.

Les peintures murales contiennent la réponse à nos questions, car elles s'étendent sur tous les murs du hall malgré les angles et les ouvertures. On y voit vingt-neuf personnages, presque de taille réelle, habillés à la mode grecque et ressemblant aux peintures Attiques de la seconde moitié du cinquième siècle avant notre ère.

Il est évident que nous sommes en présence d’un seul événement, divisé en plusieurs épisodes, racontant l'histoire d'une femme drapée qui réapparaît dans tous les épisodes. L'histoire consiste en une série de cérémonies liturgiques où la femme est initiée aux Mystères Orphiques et ne fait plus qu’un avec Zagrée.

1.    La liturgie commence par une jeune fille qui fait sa toilette nuptiale dirigée par une prêtresse. Elle est assistée par un préposé et deux jeunes garçons, dont un qui tient un miroir devant elle. Elle est drapée dans un sindon, un voile rituel qui était placé sur les néophytes lors des mystères. Elle est la jeune mariée mystique, la catéchumène se préparant à célébrer, en un mariage symbolique, sa communion avec Dionysos. C'est elle qui sera la protagoniste de toute la liturgie.

2.    Drapée dans le sindon, la jeune fille s'approche respectueusement d'un jeune homme nu. On voit qu’il est prêtre, car il porte les hautes bottines Dionysiaques. Le prêtre, sous les tendres conseils d'une prêtresse, lit une charge ou un rituel sur un rouleau, afin que la néophyte comprennent les règles ou, peut-être, la signification de l'initiation.

3.    Ainsi instruite et maintenant autorisée à prendre part au rite, la jeune fille, toujours drapée de son sindon, porte maintenant une couronne de myrte. Elle se dirige vers la droite vers un plat rituel et se prépare à un repas lustral. Devant une table de sacrifice, une prêtresse est aidée par deux préposés. De sa main gauche, elle découvre un plat apporté par un préposé et de sa main droite elle tient une branche de myrte alors que l'autre préposé, qui a placé dans sa ceinture un rouleau rituel, verse une libation au moyen d'un oenochoé. C'est l’agape lustrale qui doit être célébré avant la communion, comme c’était la tradition dans le Christianisme primitif.

4.    Après la célébration de l’agape, la néophyte est jugé digne d'une nouvelle naissance, représentée allégoriquement.

Un couple de Satyres est assis. Un faon est allongé la gueule tournée vers la Satyre qui lui offre son sein, à sa gauche le Vieux Silène regarde la scène en jouant de sa lyre avec extase. Dans le mythe, l'enfant Dionysos a été transformé en un autre enfant pour le dissimuler de la colère de Héra.

Cet enfant que l'on allaite symbolise la petite enfance de Dionysos et Silène est présent, car il doit être le mentor du dieu ; la scène représente symboliquement la nouvelle naissance de la néophyte.

On la revoit sous la forme de Zagrée enfant ; on en trouve l’explication sur les tablettes d'or enterrées avec les initiés à Sybaris ; c’est l'âme du mort qui apparaît devant Perséphone et qui dit : « je suis né à nouveau ».

5.    La néophyte est né une nouvelle fois en Zagrée, elle a commencé à vivre la vie du dieu, mais des épreuves terribles l'attendent. Silène est assis et lui montre une sphère d'argent vers laquelle un jeune homme regarde avec extase tandis que son compagnon porte bien haut un masque Dionysiaque. Silène se retourne vers la néophyte que l’on reconnaît à son sindon et lui dit des mots qui la remplissent visiblement de terreur.

Elle regarde vers l’arrière comme si elle voulait fuir et fait le geste de celle qui chasserait de sa vue une vision épouvantable. La sphère que regarde fixement le jeune homme avec extase est un miroir magique, il est fasciné et tombe dans une transe hallucinatoire et, comme cela arrive

lorsqu’on regarde dans une boule de cristal, il voit dans le miroir une série de visions qui sont axées sur le masque et la vie de Dionysos.

Il se voit dans le miroir vivre la vie du dieu, voit comme il fut mis en pièces et dévoré par les Titans et, en bref, voit le futur destin de la néophyte, qui, si elle veut naître à nouveau et être autre, doit mourir avec Zagrée. C'est cette effrayante mort Dionysiaque qu'il annonce à la jeune fille.

 

C'est une divination animée et c'est Silène, tout d'abord mentor puis mystagogue de Dionysos, qui l’encourage. En plus de l'annonce de la mort future de la néophyte, cette scène montre le geste le plus important attribué au dieu par le mythe.

Dionysos lorsqu’il était enfant a regardé dans un miroir magique, fabriqué pour lui par Héphaïstos et y a vu son destin futur.

Une autre tradition raconte que les Titans ont assassiné Zagrée en lui montrant dans un miroir son propre visage déformé. C’est ainsi, en distrayant son attention, qu’ils l'ont tué. Comme le drame sacramentel consistait dans la répétition des actions du dieu pour communier avec lui en l’imitant, cela explique pourquoi la néophyte, ou le jeune homme, regarde le miroir comme Dionysos l’a fait afin de devenir comme Dionysos et de mourir avec lui.

6.    La néophyte, après avoir reçu l'annonce, deviendra maintenant la jeune épouse mystique de Dionysos et, pour signifier symboliquement ce mariage, elle est sur le point de découvrir un phallus énorme qui se trouve dans un panier sacré. Elle le place sur le sol et semble humblement solliciter le consentement d'une personne ailée et à moitié nue, chaussée avec des bottes Dionysiaque, un rouleau rituel à la ceinture et une baguette à la main. C'est Talate, la fille de Dionysos, elle le représente et initie.

7.    Talate est debout, elle lève la main qui tient la baguette pendant que la jeune fille s’agenouille abasourdie et terrifiée. Son visage est presque caché dans les genoux d'une prêtresse compatissante et elle endure la flagellation rituelle qui remplace et symbolise la mort. Physiquement elle ne meurt pas, mais elle passe symboliquement par la mort et meurt de façon mystique, comme le stigmatisé meurt crucifié en Christ.

8.    Mort avec Zagreus, elle est maintenant née à nouveau avec lui ; c'est-à-dire elle est devenue bacchante et n'est plus une femme, mais un être humain divin. Nous la voyons maintenant danser nue frénétiquement. Elle est aidée par une prêtresse qui tient le Thyrsus, le symbole de la nouvelle vie Dionysiaque. L'esprit de Dionysos est descendu sur elle. L'homme est devenu Dieu et Dionysos a assisté invisible au miracle.

 

Nous le voyons entre la cinquième et la sixième scène, à moitié allongé sur les genoux Koré, un pied déchaussé selon le rite, regardant avec l'indifférence divine tout ce que l'homme peut subir pour lui. Voilà le mystère.

Dans la Chapelle Orphique, le grand vestibule, était la salle d'initiation ou stibade et on y entrait par la petite embrasure après que les sacrifices préparatoires aient été exécutés dans la petite pièce attenante, ce qui a été prouvé par des fragments sacrificiels trouvés à cet endroit. Après avoir pénétré dans le stibadium et avoir reçu l'initiation, les néophytes passaient par la grande porte et allaient sur la terrasse, où on peut supposer que se tenait un banquet pour célébrer l’événement. Cela correspond au Baccheion Orphique découvert à Athènes.

Pour créer cette Chapelle privée, ses créateurs ont profité du Triclinium et des deux cubicula adjacentes. Ils l’ont réarrangée et ornée de peintures adaptées à ces nouvelles fonctions et ce n'était pas sans de bonnes raisons que cette Chapelle a été érigée dans une villa de banlieue. Les Mystères Orphiques étaient, comme nous le savons, interdits par le Senatus Consultum (de Bacchanalibus) après qu'ils aient provoqué des scandales ; mais le plus curieux c’est que, selon Livy, ces scandales se sont précisément produits à la campagne, où des femmes se chargeaient des initiations qui avaient lieu la journée. Notre liturgie nous montre le l'initiation d'une femme et l'énorme fenêtre prouve que les initiations se faisaient de jour.

Cette Chapelle Orphique, autrefois lieu de rencontre secret des initiés, nous permet aujourd'hui de pénétrer dans les secrets des Mystères Grecs.

Des recherches plus récentes ont montré que cette villa appartenait à des membres de la famille Impériale et la grande prêtresse que l’on voit sur les fresques a été identifiée comme étant la propriétaire, bien que son nom n'ait pas encore été retrouvé. J'ai montré une représentation de ces fresques à une sorcière anglaise, qui l'a regardée très attentivement avant de dire : « Ils connaissaient donc déjà le secret à cette époque ».

 

Retour