Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre  VII –  Ils arrivent à Londres (4)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

Ils restèrent bouche bée face à deux Chevaliers du Temple. « J’ai beaucoup entendu parler d’eux » a dit Jan. « Ils crachent sur la Croix et adorent une statue, mais ils se battent toujours bravement pour la Croix, au-delà des mers. Quelle est la vérité selon vous Thur ?

- Il y a de nombreux histoires » répondit-il. « On dit que l’Eglise ne les aime pas car ils ne confessent pas aux prêtres, ils ne se confessent qu’entre eux et sont flagellés pendant ce temps. On dit qu’ils sont initiés à minuit, déshabillés, qu’ils reçoivent des baisers impies et  qu’ils foulent la Croix. On dit qu’ils ont une idole qui est à moitié homme et à moitié chèvre, appelée Baphomet et qu’ils pratiquent la magie et qu’ils ne sont pas chastes.

- Mais ne racontent-on pas la même histoire sur la moitié des abbayes d’Angleterre ? Nous savons qu’ils sont riches et puissants et donc haïs, mais ils sont toujours les plus courageux à la guerre et j’ai aussi entendu dire que le mot ‘Baphomet’ veut tout simplement dire ‘Le Père du Temple de la Paix Universelle parmi les Hommes’ écrit à l’envers ‘Templi Omnium Hominim Pacis Abbas’ pour le travestir, mais qui est ce Père du Temple, ça je ne peux pas le dire. »

Ils n’étaient pas allés loin dans la rue principale quand ils ont entendu les aboiements insistants des chiens accompagnés d’un tintement de clochettes ainsi que le son aigu d’une cornemuse et la voix d’un chanteur paillard. Un groupe de villageois s’était rassemblé et restait les bras croisés à regarder un spectacle qui pour eux était aussi normal que la lumière du jour, et avait pour principal intérêt de permettre les ragots.

« Est-ce une fête ? » a demandé Morven.

Thur a secoué la tête. Son « laissez passer mon ami » leur a permis d’avancer facilement dans la foule et ils sont arrivés au niveau d’un petit groupe de six personnes marchant péniblement sur les pavés en file indienne. Ils avaient l’air mortifiés, les pieds endoloris et boitaient.

Leur chef totalement épuisé se cramponnait à son bâton. Sa barbe était longue et emmêlée, et ses yeux étaient enfoncés dans son visage émacié. Il portait un long cilice qui descendait jusqu’à ses mollets et qu’il portait à même la peau. Une lourde chaîne de fer faisait le tour de sa taille et elle teintait quand il se déplaçait. Il avait aussi un manteau de toile de jute accroché sur son dos. Son corps était si maigre que tout cela ressemblait à des chiffons sur un épouvantail. Il ne récitait pas le chapelet et ne faisait pas teinter de cloche, car il avait besoin de ses deux mains pour tenir son bâton, sans cela il serait tombé. Alors qu’il avançait en trainant, Morven a vu que ses pieds saignaient sous la poussière qui les recouvrait. Ses mains maigres et sèches étaient comme des coquilles de noix sale et ses ongles longs, noirs et repliés vers l’intérieur étaient tels des serres. De temps en temps, il murmurait d’un ton monocorde, ses lèvres étant trop sèches pour qu’il puisse s’exprimer clairement : « St Alban soutient-moi. Bienheureux Jésus sois ma force. Douce Marie, prends pitié de moi !

- Qui sont ces gens ? » a demandé Morven émerveillée.

« Des pèlerins, » lui a dit Thur alors que Jan reniflait bruyamment et qu’Olaf murmurait, « Saints bienheureux, quelle affliction. » Thur s’est tourné sur sa selle et leur a jeté un regard plein de réprimandes et a mis un doigt sur ses lèvres de façon significative ce qui a fait rougir les deux frères. Le spectacle était nouveau pour Morven qui n’avait jamais entendu parler de telles pratiques. C’est pourquoi elle observait ce groupe de dévots avec une attention toute particulière.

La femme qui marchait à côté du chef n’était pas du tout aussi mal en point que lui. Certes, elle était vêtue de toiles de jute mais elle ne les portait pas à même la peau, elle n’avait pas de chaîne autour de la taille, mais une belle ceinture et ses pieds étaient chaussés de sandales qui ne contenaient pas de pois secs, et elle marchait en chantant son chant avec vigueur. Les quatre autres hommes du groupe étaient tout aussi joyeux, sales et échevelés, sainement fatigués de leur journée de gueux, mais tous avaient l’air bien nourri et prospère. Morven a appris de leur discours (qui était entièrement laïque) que le lendemain ils iraient à St. Edmundsbury pour y visiter le sanctuaire sacré. Apparemment, ils avaient passé ainsi l’été en vacances perpétuelles, voyageant d’un lieu à un autre et d’un sanctuaire à un autre en combinant piété et plaisirs d’une façon des plus louables. Encore une fois Morven a souri en jetant un œil amusé à Thur, mais pour une fois, il s’est montré indifférent, son attention professionnelle étant concentrée sur le chef misérable de la troupe. Lui, avec le visage enfoncé sous son capuchon, hésitait sur le chemin à suivre, ses yeux  fanatiques regardaient fixement, sans se soucier comme ses compagnons, la foule se rapprochant rapidement, et ses oreilles restaient sourdes aux chansons licencieuses et à la musique de la cornemuse.

Thur pensait que chaque pas serait son dernier et il doutait qu’il ait vraiment été conscient de quoi que ce soit, du début à la fin du pèlerinage.

« En vérité, ce doit être un grand pécheur, pauvre âme » a commenté une femme à côté de Morven avec une grande satisfaction.

A ce moment il est tombé, le bâton, les clochettes et la cloche ont fait un grand bruit. Il était couché par terre, le visage collé aux pavés comme si s’était son dernier refuge. Le cheval de Thur s’est cabré et a commencé à s’exciter et faire du bruit, Thur a eu beaucoup de mal à le calmer.

Instantanément la femme s’est rapprochée de leur chef et a passé ses bras autour de lui en cessant de chanter. La cornemuse s’est tue en une sorte de gémissement lugubre. La foule regardait le spectacle et Thur a donné ses rênes à Morven et est descendu de cheval.

« Non, Sir Thomas. Bon Sir Thomas ! » chantonnait la femme en s’efforçant de le relever.

« Laisse-le couché par terre » a dit Thur « Allez lui chercher de l’eau. »

Une femme, qui regardait par sa porte ouverte, a disparu pour réapparaître avec un bol d’eau.

« Merci à vous, Maîtresse » a dit Thur.

« Dieu vous le rendra » a soufflé la chanteuse, assise sur les pavés et secouant sa tête tombée sur ses genoux.

 

 

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