Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre  V –  L’Aide de la Lune (2)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

Ce n’est pas qu’elle doutait de ces étrangers. Elle avait une confiance implicite dans leur volonté de la défendre au péril de leur vie, mais s’ils étaient rattrapés et arrêtés, ils partageraient inévitablement son sort. C’est ce qui la secoua de terreur et un accès de peur la saisit, elle ne pouvait même plus rester debout. Si les hommes n’avaient pas été très occupés avec leurs chevaux, à ramasser du bois pour le feu et déballer la nourriture ils auraient vu dans quel état elle était.

L’esprit agité de Vada ne pouvait rien voir à part le visage blanc de sa mère, puis maintenant le vent de côté qui poussait les flammes, et une épaisse fumée qui s’élevait autour d’elle. Couchée dans la forêt, avec des chants d’oiseaux à l’aube, son corps frémissant ressentait la morsure de la chaleur du bûcher et elle se tordait en agonisant. Elle reprit contact avec la réalité en enfouissant son visage dans les feuilles fraîches et parfumées. « Oh, Janicot, grand Dieu, aie pitié de moi ! » dit-elle en sanglotant. « Accorde-moi l’oubli. Oh, Dieu dans le ciel, aie pitié de ma mère. Donnes-lui le bonheur et la tranquillité d’esprit. Réconforte-la, bénis-la, et garde-la toujours sous Ta protection et dans Ton amour. »

La bouffée d’horreur a passé, apaisée ou peut-être exorcisé par la prière. Elle a peut-être perdu connaissance pendant quelques instants car elle restait immobile et silencieuse et quand Thur vint à elle, elle semblait dormir.

Il lui a parlé doucement en lui touchant l'épaule. « Venez, Vada, nous avons du feu et de quoi manger. Laissez-moi vous aider à vous lever. »

Elle s’est laissée faire et afficha même un sourire furtif sur son visage. Elle était quelque peu émerveillée, jusqu’à présent les hommes n’avaient eu pour elle que du désir et de la cruauté, et eux ne voulaient rien d’elles, ils étaient juste respectueux et bons pour elle. Elle avait l’impression d’être un condamné à mort qui avait atteint un sanctuaire.

« Merci, mon ami, vous êtes bon » a-t-elle murmuré en se rapprochant du feu avec lui. Il l’a installée dans un endroit abrité, l’aube était froide et triste et ils ont tous regardé Thur partager un petit pain et couper un morceau de saucisse chaude avec son poignard et le lui donner.

« Quand avez-vous mangé pour la dernière fois, Vada ? » a demandé sèchement Jan parce qu’il était encore fâché contre lui-même.

Elle a souri, sachant que la sécheresse de son ton ne lui était pas destinée. « Il y a deux jours que j’ai mangé mon dernier bout de pain et je n’ai plus de farine. Depuis... » Elle a fait un geste expressif de la main qu’elle a gardé ouverte, sa paume tournée vers le bas... plus rien que de l’herbe. »

«  de l’herbe ! » Même en parlant Thur remarquait la grâce de son geste, mais a dit d’un ton bourru: « Pourquoi ne l’avez-vous pas dit ? Nous avons de la nourriture en abondance. »

« Je n’y avais pas pensé, » répondit-elle simplement.

« Donnez-lui de la bière » a dit Jan à la hâte, « cela va la raviver.

- Non, laisses-la manger d’abord, pauvre âme », a dit Thur. « La bière dans un ventre vide c’est une calamité » et ils ont tous ri de bon cœur.

Ils ont fait un repas serein et après avoir mangé, ils se sont couchés pour dormir la plus grande partie de la journée, les hommes ont monté la garde à tour de rôle. Personne n’arrivait près d’eux et lorsque l’obscurité est tombée, ils sont sorti du bois et repris leur route à travers champs le long des haies jusqu’à ce que la lune se lève, poursuivant toujours en direction du sud-ouest, en évitant tous les villages et hameaux. Cela les a obligé à faire de nombreux détours, car là où les terres étaient déboisées, elles étaient habitées et il ne leur était plus possible de chevaucher pendant des kilomètres sans rencontrer d’habitations comme ils avaient pu le faire avant. La nourriture et le repos avaient déjà bien réconforté Vada, et cette nuit, elle n’a plus montré aucune des faiblesses qui avaient troublé sa nuit précédente. Elle est restée à côté de Jan, lui parlant un peu d’elle-même de temps à autre.

« Votre vie a été difficile, » a observé Jan en la regardant et il s’étonna de constater que cela faisait rougir ses joues décharnées. Il avait envie de lui demander à son âge, mais il se contenta de penser qu’elle avait à peu près quarante ans.

« Très dure » a-t-elle convenu. « La plupart d’entre nous souffre de la faim plus de la moitié de l’année.

- Oui » acquiesça-t-il avec amertume, « même si la récolte est bonne, cela n’est pas suffisant lorsque les mains avides de l’Eglise nous arrache trois fois son dû. On pouvait être heureux si elle se contentait de sa dîme. Vous avez donc souvent faim, Vada ? 

- Parfois, oui, mais vous savez comment c’est. Parfois on peut attraper un lièvre... Je sais poser un collet ... mais lorsque les vents froids les chassent sous terre, ils semblent avoir disparu de la surface de la terre.

- Et personne ne vous aide ?

- John Landlord voulait m’épouser. Il m’offrait de la farine et de la viande, mais je ne pouvais pas les prendre et toujours lui dire non. C’est un homme bon, mais ...

- C’est contre nature ! »

Elle s’est mise à rire, puis cria d’étonnement : « Que m’avez-vous fait ? Vous m’avez fait rire, je n’ai plus ri depuis la mort de ma mère il y a trois ans. »

Jan a gardé le silence alors qu’un accès de mélancolie semblait tomber sur Vada, mais bientôt elle reprit le dessus et lui posa quelques questions sur lui. Il lui a parlé de sa vie à la ferme, lui a raconté comment son grand-père avait été attaqué, mais il ne lui a dit rien de ses ambitions, mais c’est elle qui en a parlé et s’est écriée : « Si j’avais été à ta place, je ne pourrais pas trouver le repos avant d’avoir repris ce qu’ils ont volés.

- je pense exactement la même chose que vous, » a-t-il admis.

Mais ce matin, tout en se reposant, assis à côté de leur feu au cœur d’une autre forêt, Vada leur a parlé un peu plus d’elle-même en répondant à Thur qui voulait savoir si elle était originaire de Wanda. « Pas du tout. Je suis née à Hurstwyck à cinquante lieues plus au nord, près de la mer. Mon père et les siens était des marins et il a vécu longtemps là-bas. Ma mère était une étrangère. Mon père s’est noyé en mer lorsque son navire a sombré lors d’une tempête. Il était capitaine.

 

 

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