Avec l’Aide de la Haute Magie

 

Chapitre II – Frère Stephen (2)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

« Vénus n’est qu’une catin païenne puante et elle n’est pas une compagnie convenable pour d’honnêtes moines. Je suis apothicaire, pas proxénète. Entrez! »

En maintenant les trois hommes avançaient dans l'arrière-salle, Stephen, seul, marchait droit vers son objectif. Thur ferma et verrouilla la porte derrière eux et les suivis lentement. Sans douceur il a poussé James et Thomas sur un siège, puis en prenant un grand pichet, il est sortit par la porte arrière et est allé dans une remise pour tirer la bière. Quand il est revenu, Stephen était debout, les mains sur les hanches et les jambes écartées, le capuchon en arrière et la tête penchée vers l’avant, son visage attrapant la lumière, mettant en avant ses traits vigoureux et beaux. Il regardait curieusement Olaf, il donnait l’impression d’en savoir beaucoup trop sur Olaf, toujours attaché et gémissant dans le Cercle. Jan s’est agenouillé à côté de lui, lui soutenant la tête avec son bras et il lui a essuyé la mousse sanglante sur ses lèvres avec le mouchoir qui avait récemment servi à lui bander les yeux. Il ignorait la présence du moine et alors que Thur pénétrait dans la pièce, Stephen s’est détourné brusquement. Il avait déposé sa tourte. Thur a versé la bière généreusement et en a passé à la ronde puis a tranquillement coupé de grandes portions de tourte et les a distribué. Stephen a pris sa propre part et recommencé à fixer Olaf toujours prosterné pendant que Thur prenait la lampe et se dirigeait  dans la boutique pour concocter un remontant.

« Qu’a donc ce garçon? » demanda Stephen, la bouche pleine.

Jan gronda un peu comme un chien hargneux et Stephen hocha la tête sagement comme s’il avait reçu une réponse courtoise et intelligible. « Oh, vraiment? » a-t-il commenté. « C’est bien triste! »

Jan regardait avec une hostilité ouverte. Il détestait tous les ecclésiastiques dont il pensait qu’ils étaient à peine mieux que des détrousseurs de grands chemins, mais Stephen ignora son incivilité, sachant qu’il n’y avait rien à faire. Le comportement indécent de ses compagnons donnait raison au jeune homme.

Thur est revenu avec la potion et la lampe. Calmement, il a examiné Olaf et l’a persuadé d’avaler la potion. Les gémissements ont cessé et Thur a commencé à défaire les liens. « La frénésie est passée et nous pouvons le détacher. »

Cela a éveillé la curiosité de Frère James qui s’est levé et s’est placé au côté de Stephen, un pichet dans une main et de la tourte dans l’autre, qu’il buvait et mangeait alternativement, tout en lorgnant sur le patient comme un hibou. Stephen maintenait un silence pesant, bien que ses yeux regardaient tout ce qui était dans la pièce. « Hep! » s’est écrié James. « S’il est malade, je dis qu’il faut le libérer par tous les moyens, ça sent la sorcellerie ou alors je suis une truffe. »

« C’est bien ça! » aboya Stephen en fronçant les sourcils.

« Le mauvais œil, d’après moi » a poursuivi James.

« Est-ce qu’une truffe peut voir? » répliqua Stephan qui semblait excité et acerbe.

James enfourna le dernier morceau de tourte dans sa gorge et a pointé un doigt hésitant sur le sol. « Tu aperçois ce cercle, mon Frère.

- Un cercle! » a repris Stephen. Tu as tant regardé le fond de ton pichet que tu le vois partout, sur terre et dans les cieux. Un cercle!

- C’est un cercle.

- Ton ventre aussi est rond et tu ne vois pas au-delà. »

- Cercle ou pas cercle, abstiens-toi » a dit James à Thur « ne le détache-le pas et amène-le à l’abbaye demain à moins qu’il aille mieux. J’en ai guéri beaucoup des comme lui. De l’eau bénite et des coups de verge font des merveilles lorsqu’il s’agit de chasser les démons. »

Frère Thomas s’est joint à la discussion alors que Thur le regardait avec colère.

« Nous avons des traitements plus simples et plus efficaces si sa peau est tendre. Peut-il payer? L’eau bénite et la verge ne coûtent qu’un sou, mais pour dix sous, il pourrait toucher l’ongle du pied du bienheureux Saint-Lawrence. »

« Mais nous avons une encore mieux » le coupa James « Une des véritables Plaies d'Égypte, celle des ténèbres, elle vient directement de Terre Sainte.

- Pour à peine vingt pences, un homme malade peut retirer le bouchon dans le couvercle du coffre et placer un œil contre le trou. Il verra alors les Saintes Ténèbres.

- Oui » a dit Thur « J’ai vu le miracle fabriqué par Will le charpentier à la demande du sous-prieur. N’est-il pas peint en noir à l’intérieur? Cerclé comme un tonneau? Et n’est-il pas impossible de l’ouvrir? Un petit trou percé dans son couvercle avec un bouchon?

- C’est bien celui-là! » s’est écrié Thomas. « Il a fait entrer plein d’argent dans nos coffres. Le sous-prieur a mis de la gomme et des épices sucrées ainsi que de la bouse dans le trou et voilà le mystère et l’odeur de l’Orient recréé. Plus d’un pèlerin a reniflé et a juré qu’il était de retour dans la ville sainte! »

« Taisez-vous, imbéciles! Est-ce que la Sainte Église elle-même doit être à la merci de ces langues trop pendues? Taisez-vous, vous n’avez pas honte? » dit Stephen dans une colère froide et soudaine à la fois inattendue et surprenante. Thur l’étudia attentivement et même Jan a daigné jeter un coup d’œil pour évaluer la situation. James et Thomas le contemplaient avec de grands yeux et leur pichet à moitié levés jusqu’à leurs bouches ouvertes. A ce moment, Stephen donnait l’impression d’avoir subi un affront personnel et semblait être sur le point de préparer des représailles rapides envers les offenseurs. Les deux moines se sont assis prestement, c’était le meilleur moyen de protéger leurs postérieurs, alors que les yeux de Stephen les menaçaient et que sa forte mâchoire avançait en soulignant ses traits maigres, promettait l’exécution de la menace. Sa bouche d’habitude tolérante avait perdu sa douceur d’expression et n’était plus qu’une ligne sombre.

 

 

 

 

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