Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre XIX – Des Châteaux et des Terres (4)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

Quand tout fut fait comme Thur l’avait ordonné, la porte fut ouverte en grand, le pont-levis est tombé avec fracas, les hommes se sont élancé avec de grosses bottes de paille qu’ils ont empilées contre la porte menant aux tours jumelles de la barbacane. On y a rajouté du bois enflammé et l’huile. Des carreaux d’arbalète furent envoyés vers les hommes portant la paille, mais les bottes de paille les protégeaient et dès que la paille fut en feu, la fumée faisait qu’il était impossible de viser. Les hommes de Thur n’ont donc pas subit beaucoup de dommages. Avec l’huile et la graisse le feu brulait bien et la fumée tourbillonnait jusqu’au ciel, Thur et Jan pouvaient imaginer qu’ils voyaient Bartzebal exulter dans les flammes et la fumée. Des hommes se sont approchés avec des piques et des seaux d’eau pour contenir le brasier contre les portes et empêcher qu’il ne se propage vers le pont. Protégés par la fumée d’autres hommes ont amené des poutres avec lesquels ils ont facilement enfoncé les portes partiellement calcinées. L’eau a rapidement éteint ce qui restait des feux mais la fumée tourbillonnait toujours vers le ciel quand les hommes ont monté l’escalier avec prudence. Personne n’a opposé de résistance, dès que les portes avaient été brisées la fumée s’était engouffrée dans une cheminée et lorsque les hommes de Thur sont arrivés, ils sont tombés sur quatre hommes qui suffoquaient à cause de la fumée. La porte extérieure était ouverte et le pont-levis baissé. Un messager avaient été envoyé pour demander des secours mais il était tombé sur Olaf et sa troupe et il fut immédiatement tué. Thur pouvait enfin respirer, le château était à eux, au moins jusqu’au retour de Fitz-Urse.

Le lendemain, en interrogeant les serviteurs effrayés, ils ont appris que Fitz-Urse ne devrait pas revenir avant plusieurs jours. Ils se sont donc préparés à soutenir un siège. Ils sont allés chercher des provisions au village de pêcheurs dont les habitants avaient juré de garder le secret. Comme certains des leurs étaient impliqués dans l’affaire, Thur se dit qu’ils allaient tenir parole.

Les portes brûlées de la barbacane furent réparées et Olaf a été envoyé vers Morven avec de bonnes nouvelles et pour instruction de se réfugier dans la forêt à Deerleap, avec les forestiers. Car, comme l’a dit Thur : « Si on découvre que je suis dans le château, ou que j’ai joué un rôle dans son attaque, les Normands ne manqueront pas de se venger sur ma maison. »

Puis Thur s’est occupé de soigner les blessés des deux camps.  

Le lendemain ils n’ont fait que se préparer à la contre attaque. En inspectant les lieux ils ont constaté qu’il y avait sur place un bon stock de vivres et d’armes. De la vaisselle en argent était rangée dans les armoires du logis seigneurial. Il y avait aussi beaucoup de pièces de monnaies en cuivre, en argent et même quelques une en or. Thur s’est rué dessus : « Il me les faut pour récupérer ma maison, » a-t-il dit au grand damne de ses compagnons. Ils avaient tous beaucoup souffert, tout le butin devait être pour eux, ont-ils protesté. Si le médecin voulait de l’or, pourquoi n’en faisait-il pas ? Il est bien connu que tous les mages font ça tout le temps ? Il y a eu une grosse discussion et beaucoup d’insatisfaits mais le fait indéniable que les frères Bonder et Thur avaient un rang élevé dans la fraternité a eu un grand poids dans la balance et finalement Thur a obtenu ce qu’il voulait après avoir promis qu’il ne réclamerait rien de plus. « Je ne voudrais pas perdre ma maison, » a dit Thur.

« Mais pourquoi ? » a demandé Jan. « Vous allez vivre ici dans le château avec Olaf et Morven. Vous serez mon grand vizir, comme disent les païens et vous me donnerez des conseils sur la façon dont je régirais le domaine. Si je régis le château maintenant, je ne vois pas comment je peux gouverner la région tant que Fitz-Urse et ses enfants sont encore en vie.

- Je pense que nous devons à nouveau demander à Bartzebal ce que nous devons faire, » a dit Thur. « Si seulement je pouvais retourner en ville et rapporter les outils de l’art et les manuscrits, mais je ne vais pas quitter le château avant que nous sachions où se trouve Fitz- Urse, je pourrais alors m’en prendre directement à lui.

- On peut aller les chercher à tout moment, » a dit Jan, « mais on ne pourrait pas en faire grand-chose sans Morven."

- Oui, » répondit Thur. « Nous y repenserons lorsque Morven pourra venir ici en toute sécurité. »

Ils ont réussi à se procurer de nombreuses provisions et des volontaires parmi les pêcheurs et les blessés pouvant encore marcher ont été renvoyés chez eux. Le lendemain, Olaf était de retour, accompagné de Morven. Il leur a aussi appris que Fitz-Urse n’était pas très loin derrière lui. Morven avait insisté pour l’accompagner. Elle n’avait pas de chez elle alors que là elle avait une chance de se battre et un siège serait une expérience merveilleuse, a-t-elle insisté. Comme elle était là, ils ne pouvaient que lui permettre d’accéder au château car s’ils l’avaient renvoyée, elle aurait couru le risque de tomber entre les mains de Fitz-Urse. Jan a été ravi qu’elle soit là mais il avait terriblement peur pour elle. Thur se précipita vers Morven et l’envoya soigner les blessés. Puis il dit à Jan : « Si le pire arrive, tu l’emmèneras au pied de la falaise avec quelques hommes et, de nuit, vous vous éloignerez dans les bateaux de Fitz-Urse, alors que moi et Olaf nous résisterons, car vous devez élever d’autres Bonder pour continuer le combat. Rattrape-la mon garçon, parle-lui comme il faut et le prêtre itinérant pourra vous unir cette nuit. 

- Mais ! » s’étrangla Jan  

« Il n’y a pas de mais ! C’est ton devoir vis-à-vis de ta famille et en plus sa présence est un danger, au moins pour elle. De plus en plus je suis convaincu par notre mission. Nous ne faisons pas la guerre pour la gloire et la célébrité.

- Mais, » a dit Jan, « N’aurais-je pas gagné la célébrité, si j’arrive à reprendre toutes les terres qui ont été volées à mon grand-père ?

- Oui, oui, » a dit Thur. « La célébrité et la gloire et une mort illustre peuvent être de grandes choses, pour vous, mais je pense à Morven. Si elle est capturée elle risque le bûcher et personnellement je n’ai aucune envie qu’on me tranche la gorge. Ici je suis ton général. Mon but est de faire de toi le seigneur de ces terres et des châteaux, alors je m’occupe de la stratégie et tu obéis à mes ordres. Maintenant retire-toi et vas parler à Morven. »

Donc, après discussion (car Thur refusa obstinément de dévoiler ses plans), Jan s’en est allé rejoindre Morven, qui après s’être occupée des blessés, s’était éloignée. Il la trouva rapidement dans le boudoir de l’épouse de Fitz-Urse. Elle n’avait jamais vu une telle pièce depuis son enfance à Hurstwyck. La tapisserie, les coussins moelleux, les canapés (car Fitz- Urse avait le gout du luxe depuis son passage en terre sainte), la vue magnifique depuis les fenêtres, tout cela rappelait son enfance à Morven et cela lui a fait penser à sa mère. Elle leva les yeux quand Jan arriva sans s’annoncer. Ce n’était pas un amoureux galant, il la regarda timidement et dit : « Morven, Thur dit que nous devrions aller chez le prêtre et nous marier.

- Oh, vraiment ? Maître Thur a l’habitude de donner des ordres, mais n’ai-je pas mon mot à dire dans cette affaire ? Est-il mon seigneur pour me donner en mariage ou me vendre, sans mon consentement ? »

Jan sembla confus et triste. La jeune fille posa sa main sur son épaule. « Jan, tu n’es qu’un enfant gâté. »

Jan l’a regarda pendant une minute sans mot dire. Lui, qui avait pris d’assaut un château ! Il eut une idée. Thur a dit un jour : « Les femmes et les châteaux c’est à peu près la même chose. » Il la saisit dans ses bras et colla ses lèvres contre les siennes, elle s’est débattu quelques secondes puis elle a rendu les armes. Il n’a pas compris comment mais ils se sont retrouvés tous les deux, couchés sur un grand divan, enlacés et Morven avait blotti sa tête sur son épaule.

« Dis-moi, mon amour, comment m’aimes-tu ?

- Plus que toute autre chose, » a-t-il répondu « Plus que tout au monde, plus que les châteaux et les terres. Je t’aime depuis l’autre nuit à Deerleap, mais fou comme je l’étais je ne m’en suis pas rendu compte.

- Mais qu’en est-il de votre Irlandaise, cette Dame de Jocelyn Keyes ? » a-t-elle demandé avec malice.

« Oh ne me parle pas d’elle, elle n’est qu’une torche vacillante comparée aux étoiles du ciel. Ô, Morven, ce nom n’est-il pas exquis et charmant, Morven, ce nom a une sonorité magique. »

Ils sont encore resté ainsi un certain temps, il lui caressait tendrement les bras et les  épaules. « Bon alors c’est réglé, » a-t-il dit. « Je vais aller voir le prêtre et nous nous marions ce soir ? »

Elle s’est soulevée. « Pour la première fois depuis que je te connais, tu veux aller vite. Pourquoi toute cette précipitation ?

- Fitz-Urse, » a-t-il marmonné. « Il va arriver cette nuit ou demain et nous devrons défendre un siège.

- Donc voilà, » a-t-elle dit en riant. « Je dois d’abord me marier selon le bon vouloir de Maitre Thur et à une date qui convienne à Fitz-Urse. Viens Jan, emmène-moi en haut du donjon pour que nous puissions voir si Fitz-Urse arrive. Tu pourras ainsi me forcer à t’épouser, sans même que je puisse changer de vêtements. »

Jan l’a regardée, elle s’était changée, elle ne portait plus les vêtements d’hommes qu’elle avait enfilés pour monter à cheval. Elle portait maintenant une jupe verte en serge, un chemisier blanc avec des bretelles qui ne voulaient jamais rester en place. Avec ses bras nus et ses épaules, son visage semblable à une fleur et ses cheveux roux or, elle était merveilleuse, divine, pensait-il. Mais elle l’a tiré par le bras.

« Viens. Allons. Viens. »

Mais Jan marmonna: « Nous ne pouvons pas aller au sommet du donjon.

- Pourquoi ? » a-t-elle demandé. « Est-ce Maître Thur l’a interdit, ou alors est-ce Fitz-Urse ? Ils semblent diriger toute ma vie aujourd'hui.

- Non, ce n’est pas ça. On n’arrive pas à trouver la clé, viens voir, » et il l’entraîna dans la cour et lui montra.

Le seul accès au donjon se faisait par un escalier étroit en pierres d’à peine soixante centimètres de large. Il courait sur l’extérieur de la tour, se terminant par une petite plate-forme et une petite porte renforcée par des plaques de fer à bien neuf mètres au-dessus de la cour. « Smid, le forgeron est mort, » a dit Jan. « Il aurait pu nous ouvrir la porte. Il y a si peu de place devant la porte, les hommes craignent d’être déséquilibré et de tomber s’ils envoient des grands coups de marteau pour l’enfoncer. S’ils tombent, c’est la mort assurée. Nous ne pouvons pas la brûler à cause du fer et nous ne voyons pas comment entrer avant d’avoir trouvé un bon forgeron. Dis-moi belle sorcière, tu n’as pas un sort pour charmer les serrures aussi bien que tu charmes le cœur des hommes ?

- Hélas non, » a-t-elle dit. « Mais est-ce que cela ne va pas poser problème si vous ne pouvez pas l’utiliser en cas de siège ?

- Si justement, »  a-t-il admis avec tristesse, « mais Thur a un plan, il pense pouvoir remporter la victoire et sauver des vies. Il dit que nous ne luttons pas pour la gloire mais pour notre vie, avant que Fitz-Urse puisse trouver de l’aide. Nous devons donc toujours faire ce qu’il dit, car c’est un soldat et il a l’habitude des embuscades et les stratagèmes.

- Alors tu ne connais pas ses plans ?

- Non, il ne dira rien. Mais dis moi mon cœur, dois-je demander au prêtre de venir cette nuit ?

- Jan, je ne sais pas quoi dire, je n’aime pas les prêtres. Mais Thur et Dame Alice m’ont dit que tous les chrétiens n’étaient pas cruels. Donc oui, cette nuit si tu le veux mon amour. »

Et ce soir-là, dans la petite chapelle du château, le Père Mathew, le prêtre itinérant a dit les paroles pour les unir, Thur, Olaf et Simon Pipeadder étaient leurs témoins.

Le lendemain matin, un éclaireur est arrivé au galop pour annoncer qu’un groupe de cavaliers approchait et peu après ils furent visibles du château. Thur avait fait tout ce qu’il a pu pour qu’on ignore que le château avait changé de maitre et il semblait qu’il ai réussi, puisque les cavaliers arrivaient apparemment sans craindre de danger. En interrogeant les serviteurs ils ont appris quelle était la procédure habituelle lorsque leur seigneur approchait.

Alors qu’ils s’approchaient de la barbacane, ils ont fait sonner une corne, les ponts-levis intérieurs et extérieurs furent baissés et les portes ont été ouvertes et des hommes dans les armures prises aux anciens défenseurs du château sont apparus sur les remparts. Fitz-Urse est passé le premier sur les ponts, suivi par dame Ellenora, puis de leur fils Rual et ensuite des hommes en armes et des serviteurs.

Fitz-Urse était dans la cour avant de remarquer qu’il se passait quelque chose d’étrange. Puis il a hurlé « Jehan. » Sa femme et ses cavaliers le suivaient et il criait toujours « Jehan et Fulk, » lorsque son dernier homme a passé les portes de la barbacane. Puis il y a eu un signal et la herse de la barbacane est tombée lourdement, coupant ainsi toute retraite aux arrivants, et une seconde plus tard, la herse du château s’écrasa sur un homme et son cheval et les coupa littéralement en deux. Puis Jan, en armure, a crié d’une fenêtre dans la guérite : « Rends-toi, Fitz-Urse. »

Fitz-Urse a tiré la bride de son cheval et l’a forcé à se retourner, cherchant à voir d’où venait la voix étrange. « Qui es-tu, toi le coq qui chante si fort dans mon propre château ? Montre-toi et je vais te couper les oreilles.

- Je suis Jan de la famille Bonder, j’ai reconquis le château de mon grand-père. »

Fitz-Urse un peu perdu regardait la herse qui séparait sa troupe en deux. Puis il fit avancer son cheval au centre de la cour et l’a fait tourner, il regardait avec étonnement. «  Mais qui es-tu au nom du diable ? 

- Je suis Jan Bonder, fils de Hugues et petit-fils de Sir Edgar, que ton père a si vilement assassiné, » reçu-t-il comme réponse.

Fitz-Urse regardait avec étonnement tout autour de lui, constatant que les archers se tenaient prêts à tirer de la guérite et devant le casernement, Fitz-Urse se gratta la tête. Puis, soudain, saisissant la bride de son épouse il cria : « A moi, » et il s’élança vers le donjon. Les chevaux glissaient sur le dallage. Ensuite Jan a vu que certains hommes de Fitz-Urse se sont précipité au niveau du donjon pendant que les autres se plaçaient en cercle autour de leur chef, leurs lances pointées vers l’extérieur. Puis il a vu Dame Ellenora Dame qui tenait ses jupes à deux mains, elle tenait aussi une grosse clef et se précipitait vers les marches suivie de plusieurs hommes.

Puis la voix de Thur se fit entendre dans le casernement. « Tirez, tirez rapidement, s’ils parviennent à y entrer nous ne pourrons jamais les en déloger. » Rapidement une volée de flèches s’est abattue sur les Normand mais semble-t-il sans atteindre Dame Ellenora. Certains Normands sur les marches armaient leur arbalète et commençaient à riposter.

Puis elle a atteint la porte de fer et se tourna pour insérer la clef dans la serrure. Mais son dos était une cible bien trop belle. Deux flèches l’ont atteinte. Elle chancela un instant puis lâcha la clef qui tomba au milieu de la cour. Puis Dame Ellenora est tombée à la renverse en faisant un bruit sourd en atterrissant sur les pierres. Jan ferma les yeux avec horreur, puis les rouvrit lorsque qu’un « Ahha » sourd se fit entendre et il a vu Thur qui se précipitait hors du casernement pour saisir la clef et retourner immédiatement à l’abri alors que deux hommes de Fitz-Urse se précipitaient, leurs lances pointées vers lui. Quelques flèches ont ricoché sur leur armure. Jan a vu Morven apparaitre comme un éclair et un couteau tourbillonner dans les airs. Il atteint un homme en pleine face ce qui lui a fait faire une embardée de côté avant de s’écrouler. Son pied étant resté dans l’étrier, son cheval l’a trainé sur les pierres de la cour. Thur avait presque atteint la porte, quand Jan a vu avec horreur une longue lance sortir de sa poitrine. Une pluie de flèche s’abattit alors sur l’homme qui venait d’atteindre Thur et il tomba mort. Jan compris alors que Fitz-Urse et ses hommes ne résistaient même plus sous les flèches. Derrière lui des bruits lui a indiquaient que les hommes pris au piège entre la guérite et la barbacane étaient massacrés avec des pierres et des flèches.

Mais tout ce qu’il pouvait voir, c’était le corps de Thur étendu dans une mare de sang sur les pierres et Morven couchée sur le corps, qui pleurait toutes les larmes de son corps.            

 

 

 

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