Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre XIX – Des Châteaux et des Terres (3)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

Les rayons de la pleine lune avaient du mal à percer la brume marine alors que Jan, Thur et Olaf répartissaient leurs hommes dans plusieurs petits bateaux de pêche. Olaf a été envoyé avec dix archers, ils devaient se placer près de la barbacane et stopper toute personne entrant ou sortant du château, et aussi (mais il ne le savait pas) faire en sorte que si l’attaque échoue un des Bonder puisse survivre et perpétue la lignée. Tous les hommes valides de la confrérie venant de la forêt étaient là, avec les six hommes de Jan et des pêcheurs, qui étaient aussi membre du culte des sorcières et qui étaient de bons grimpeurs.

Jan et Thur ne se faisait aucune illusion, s’ils échouaient il n’y avait que très peu de chance qu’il y ait des survivants dans leur camps. Mais ils avaient de bonnes chances de réussir s’ils parvenaient à ne pas se faire remarquer.

Leur plan était bien préparé. Fitz-Urse, sa femme et Ruad, leur second fils avaient quitté le château à cheval avec vingt hommes d’armes et de quelques serviteurs. Il se disait qu’ils n’allaient pas revenir avant plusieurs jours. Cela signifiait qu’il ne resterait pas plus de trente combattants et une vingtaine de serviteurs au château. Ils savaient qu’il y aurait parmi eux au moins six hommes qui monteraient la garde dans la barbacane et qui seraient donc incapables d’aider leurs compagnons du château, à condition de parvenir à prendre le contrôle du pont-levis avant que l’alarme ne soit donnée.

Evan Œufs de Mouette était dans son petit bateau avec son épouse et leurs enfants et une partie de leurs biens. Il est sorti et s’est tourné vers Thur et a dit : «. Je suis là, montrez-moi l’or. »

Thur lui a montré les vingt-cinq pièces, puis les a remis dans une petite bourse. « Au sommet du rocher, » a-t-il dit.

Evan grogna. « Un homme va risquer sa vie pour pouvoir se chercher une nouvelles demeure et de nouveaux compagnons.

- C’est toi qui l’a décidé, » lui a répondu Thur.

Evan grogna plus fort que jamais. « Allons-y, » et il est sorti du petit bateau d’un air maussade.

Les autres bateaux le suivirent avec un bruit sourd et ils furent bientôt à l’entrée de la grotte. Il avait une sorte de plage pour débarquer, taillée dans le roc et quelques anneaux pour amarrer les bateaux. Evan a désigné quelques bateaux échoués sur le sable à l’intérieur de la grotte. « Les bateaux de Fitz-Urse, » grogna-t-il. Silencieusement, ils ont amarré leurs bateaux et ont débarqué. Evan les a conduits jusqu’à des marches taillées dans le roc et menant à une crête aboutissant à un espace mesurant environ six mètres de large sur quinze de long au dessus de la mer. Au dessus la falaise se perdait dans la brume.

« La falaise est juste au-dessus, » dit Evan. « Là haut ils ont un grand treuil. Ils portent les choses jusque là avant de les hisser et c’est pareil pour l’équipage des bateaux. Ils font pareil pour descendre, » grogna-t-il presque pour lui-même. « Ils pensent qu’il n’est pas possible de grimper là-haut, mais comment des hommes auraient-il pu monter la première pierre s’il n’avait pas moyen de monter avant que le pont ait été construit ? »

Il les a conduits à l’extrémité de la plate-forme où le rebord continuait un peu, puis s’arrêtait brusquement. Ils entendaient la mer rugir leurs pieds. Evan déroula une corde qu’il portait sur les épaules, elle avait une boucle à une extrémité. Il a accroché cette boucle à une roche et a désescaladé le rocher jusqu’à quasiment disparaître de leur vue sur une corniche ayant à peine la largeur de son pied. Les autres l’ont suivi avec prudence. Quand ils l’eurent rejoint, Evan s’est déplacé vers la droite, la corniche était étroite et glissante, mais il y avait des prises pour s’agripper, il a ainsi continué jusqu’en haut. Puis la voie était bloquée par une masse de roche en saillie mais une corde en descendait. Evan s’est hissé avec la facilité d’un grimpeur chevronné, et même s’il y avait des prises pour les mains et les pieds, les autres avaient du mal à le suivre et avançaient avec lenteur.

Puis il y a eu un autre rebord plus large et plus facile que le premier, ce rebord menait lui aussi à une fissure dans la roche, elle faisait à peine soixante centimètres de large. En s’aidant d’une corde qui pendait et en poussant des épaules et des genoux contre les parois, ils progressaient lentement. En arrivant au sommet un péril encore pire les attendait, ils devaient ramper lentement et patiemment le long d’une corniche étroite au-dessus de laquelle s’avançait la falaise, ainsi ils ne pouvaient ni se redresser ni trouver de bonnes prises et pour encore empirer les choses ce rebord penchait vers le bas. Il était impossible de fixer une corde et la mer frappait la roche  avec fureur une centaine de mètres plus bas.

Un homme juste derrière Jan a glissé, il est resté suspendu un instant par les mains, puis est tombé en poussant un cri dans l’obscurité. « Faites attentions bandes de fous ou vous êtes perdu ! » a dit Evan Œufs de Mouette. Mais après un virage, la corniche s’est faite plus large puis il y a eu une nouvelle fissure dans la roche mais une corde était fixée et elle était franchement la bienvenue. Haletant et le souffle court, Thur et Jan sont arrivés jusqu’en haut, mais non sans avoir entendu deux autres cris et le choc des corps arrivant en bas.

« Que Dieu ait pitié de leurs pauvres âmes, » a dit Jan en se signant pieusement.

Evan, l’air maussade regardait les hommes qui apparaissaient. Lorsque le dernier est arrivé, il a dit : « J’ai rempli ma mission, donnez-moi mon dû. » En silence, Thur lui a remis  la bourse. Evan la soupesa dans sa main et sans un mot il a empoigné la corde et disparu.

Jan et Thur ont regardé autour d’eux avec curiosité. Ils étaient sur une petite plate-forme d’environ trois mètres de large et neuf mètres de long. Devant eux il y avait un très grand treuil et une potence, un chemin conduisait à un mur d’environ six mètres de haut avec une petite tour dotée d’une porte sur le côté.

Thur souffla. « J’ai bien l’impression qu’il s’agit là d’un vestige de l’ancien château et non de l’œuvre des Normands. »

Ils se sont rapprochés et Thur a collé son oreille contre la porte. Satisfait, il est retourné à la plate-forme où il y avait le treuil et a aidé un homme grand et robuste à se mettre sur pied. « Smid, est-ce que tu peux ouvrir cette porte pour moi ? »

Smid, encore essoufflé, a examiné la porte comme quelqu’un du métier, il l’a jaugé avec prudence puis il l’a secouée. « Je pense qu’elle est fixée par une barre et des verrous en haut et en bas. »

Tous écoutaient attentivement, il n’y avait aucun bruit de l’intérieur.

« Fitz-Urse pense que personne ne peut arriver par ici sans employer le treuil, il n’a donc pas jugé bon de mettre une sentinelle ici et Bartzebal nous a dit que nous pourrions venir de cette manière et tuer en son nom, alors j’ai tout risqué en partant du principe qu’il n’y aurait personne ici, » murmura Thur. « S’il y avait eu quelqu’un nous n’aurions eu d’autres choix que de revenir par la voie périlleuse que nous avons pris avec Evan. Nous verrons bientôt si Bartzebal était sincère avec nous. »

Pendant ce temps, Smid a tiré une grosse vrille de sa poche et a percé méthodiquement un cercle de trous dans la porte. La vrille traversait le bois sans faire de bruit. Il a ensuite relié ces trous avec une petite scie et il pu enlever un gros morceau de la porte. Smid, en insérant son bras, débloqua la barre, puis en s’aidant d’un outil réussit à tirer les verrous du haut et du bas. La porte grinça en s’ouvrant et le groupe a débouché dans une grande cour.

A leur droite il y avait un grand bâtiment, sans doute le logis seigneurial. Comme le seigneur était absent, seules les servantes devaient être là, il n’y avait pas urgence. A gauche il y avait les écuries. Vers le mur d’enceinte il y avait un long bâtiment pas très haut d’où venait de gros ronflements et une odeur qui laissait penser qu’il s’agissait de la cuisine, il n’y avait donc là non plus aucune urgence. Il y avait un bâtiment plus grand, sans doute, le casernement, puis une tour ronde et les dépendances et les dépôts. Ensuite il y avait les tours jumelles du corps de garde. A droite il y avait un nouveau un pan de mur et une énorme tour ronde, le donjon, là le mur rejoignait le logis et complétait le cercle.

Thur observa tout avec les yeux d’un soldat. Il a rapidement placé six hommes devant la cuisine avec des ordres stricts : ils ne devaient rien faire avant d’entendre des cris de luttes ailleurs, à ce moment ils devaient entrer et tuer tous ceux qu’ils rencontraient. Ils devaient ensuite rejoindre les autres combattants. Vingt hommes furent postés devant le casernement avec les mêmes ordres, attendre et ne rien faire. Il a posté six autres hommes devant le logis seigneurial avec ordre de tuer tous ceux qui sortirait mais de ne rien faire d’autre. Il a ignoré le donjon : « Il n’y a jamais personne là-dedans, sauf en cas de guerre, » a-t-il murmuré. Il a conduit les trente hommes derniers à la guérite. Il savait qu’il y aurait là des hommes en armes montant la garde et aucun de ses hommes n’avaient d’armure mais s’ils en avaient eu, ils n’auraient pas pu escalader les falaises.

Il y avait une porte dans chacune des tours jumelles mais heureusement elles n’étaient pas fermées. Thur suivi de la moitié des hommes s’est dirigé vers une des portes, Smid le forgeron, avec les autres, vers l’autre et ils ont jeté simultanément un œil dans les salles de gardes des tours. Une torche accrochée à un mur éclairant mal, révéla deux hommes assis à une table en train de jouer aux dés en regardant vaguement du côté du  treuil, de la herse et du pont-levis. Des ronflements montraient que d’autres gardes dormaient par terre. Au dessus de leur tête on entendait des bruits de pas, la sentinelle sur le toit allait et venait, cherchant à se réchauffer.

Thur, suivi d’un homme, s’est glissé silencieusement dans sa salle de garde, Smid, suivi d’un autre homme, a fait de même. Un des joueurs de dés a remarqué quelque chose : « Qui va là ? » a-t-il crié, puis il a vu des hommes entrer dans la pièce. Il saisit une épée et un bouclier posés sur la table et s’est précipité en criant « Trahison. » Thur a joué de l’épée montrant toute sa dextérité, les gardes se défendaient comme ils pouvaient. Les hommes d’armes étaient quatre fois moins nombreux que les hommes de Thur. En plus ils étaient étourdis par le sommeil, mais c’étaient des soldats entraînés au maniement des armes et ils avaient des armures. Mais ils avaient enlevé leurs casques pour dormir et n’avaient pas eu le temps de les remettre. Les hommes criaient et se battaient avec acharnement. Les coups pleuvaient, on voyait bien que les gardes savaient comment manier leurs armes. Thur a vu Smid au sol la gorge tranchée, dans la lumière vacillante de la torche son sang semblait noir comme de l’encre.

Thur se battait comme un enragé. Bientôt les combats furent terminés, mais seuls douze de ses trente hommes étaient encore debout. Certains étaient blessés et gémissaient d’autres étaient couchés par terre et ne bougeaient plus. Thur était hors d’haleine et avant qu’il puisse reprendre son souffle il y a eu des bruits de pas précipités et un homme en armure arrivait des escaliers, il a empalé un des hommes encore debout avec sa pique. C’était la sentinelle du toit qui avait été averti par les bruits dans la pièce du bas. Plusieurs épées se sont tournées vers lui, il a dégagé sa pique pour la planter dans un autre assaillant. Quelqu’un s’est alors saisi de la pique avant que la sentinelle n’ai pu la retirer. Un autre a attrapé le bras de la sentinelle par derrière, il y a eu une lutte acharnée, la sentinelle fut touchée et mise hors d’état de nuire. Tout était calme à nouveau, on entendait plus que les gémissements des blessés. Thur écoutait attentivement les bruits étouffés de cris dans le casernement. Il savait que les hommes de Jan luttaient eux aussi. Mais il y avait un autre bruit qui l'inquiétait. La sentinelle du toit avait alarmé la sentinelle de la barbacane avant de descendre et les gardes criaient pour demander ce qui se passait. Il fallait à tous prix les empêcher de se joindre à la lutte avant que les hommes de Jan aient vaincu toute opposition dans le château. Thur regarda par la lucarne. Deux arches de pierre traversaient l’abîme. Un pont en bois avait été construit sur ces arches sur environ douze mètres à partir des terres et un pont-levis permettait de passer de ce pont au château. Par chance le pont était levé.

Il réfléchit un moment. Si seulement il pouvait les attirer ici ! Mettant ses mains en porte-voix autour de sa bouche, il a crié : « Au secours ! Venez ici ! Les hommes sont ivres et se battent ! »

Deux hommes avec des hallebardes se sont précipité sur le pont de bois et ont demandé : « Qui appelle ? Abaissez le pont ! » mais les hommes de Thur étaient déjà à la manœuvre et le pont-levis descendit lentement alors que deux autres hommes rejoignaient les deux hallebardiers avec fureur. Thur savait qu’ils se demandaient pourquoi on les appelait eux plutôt que la garnison. Thur appela à nouveau à l’aide.

« Qui appelle ? » ont-ils répondu. « Montrez-vous ! 

- Venez vite ! » hurla Thur.

« Mais qui êtes-vous ? » fut leur réponse et les hommes ont commencé à se retirer vers la barbacane en disant : « Le problème semble réglé maintenant, nous reviendrons demain matin lorsque nous pourrons vous voir."

Thur jura, mais il semblait que les hommes n’étaient pas encore totalement rassurés, ils sont retourné vers le château tout en discutant. Thur a dit : « On ne va pas arriver à les attirer ici. Il ne doit pas y avoir beaucoup d’hommes là-bas, mais chacun d’eux pourrait me coûter dix vies avant que nous arrivions à nous emparer de la barbacane. » Il a fait signe à ses hommes de prendre les arbalètes sur les murs et ils les ont rapidement encordées. A cette distance il était impossible de les manquer. Les flèches sifflèrent dans l’air et trois hommes sont tombés avec des carreaux plantés dans le visage et les autres se sont précipités dans la barbacane en criant « Trahison ! » puis ils ont claqué la porte derrière eux.

« Le reste peut attendre, » s’est dit Thur et il a ordonné de lever le pont-levis. Pendant ce temps Jan, Wat et Stammers ont conduit leur troupe dans le casernement, éclairé uniquement par une lampe vacillante, mais ils s’étaient munis de torches. Le combat tenait plus du massacre que d’une lutte. Les Saxons avaient enduré des années d’oppression et la plupart des Normands furent abattus avant d’avoir pu atteindre leurs armes, ou, pour la plupart, avant d’être réellement réveillés et beaucoup sont morts dans leur lit, sans jamais se réveiller. Des cris leur annonçaient qu’il s’était passé la même chose à la cuisine.

A ce moment il y a eu un grand tumulte dans la cour, Jan se précipita vers la porte. Un grand homme avec une longue épée et accompagné de deux écuyers avec des flambeaux émergea à la porte du logis. Il s’agissait de Fulk Fitz-Urse, le fils aîné de Fitz-Urse dont Thur pensait qu’il était au loin. « Qu’est-ce que c’est ? Qu’est ce qui se passe ? » Hurla-t-il de sa grosse voix. « Vous voulez vous battre espèce de vermine ? Calmez-vous ou je vous fouette tous. » Il était en colère et hurlait des menaces en direction du casernement mais alors que Jan regardait, un carreau d’arbalète est apparu sous le menton de Fulk, ses genoux se sont pliés et il est tombé à plat ventre sur les pierres avec fracas. Presque simultanément, ses écuyers ont chancelé et se sont eux aussi effondrés. Les hommes placés devant la porte du logis avaient obéi aux ordres et leur ont tiré dans le cou, par derrière, les tuant sur le coup. Ainsi, au moment où Thur a atteint la cour, plus un seul membre de la garnison n’était encore en vie, à l’exception de quelques domestiques, tous Saxons et un prêtre itinérant qui se trouvait là par hasard pour passer la nuit.

« Le château est à nous ! » a dit triomphalement Jan.

« Pas tout à fait, » a dit Thur, « écoute ». Il y a eu un craquement venant du côté de la porte. Ils se sont précipités vers elle en courant malgré leur fatigue. Le bruit venait de la barbacane. « Ils descendent le pont-levis, » a dit Thur. « Ils vont chercher de l’aide. Je me demande où ils vont aller ? Ils ne vont probablement envoyer qu’un seul homme. Si c’est bien ça, Olaf va s’en occuper. Thur se demandait combien d’ennemis il pouvait bien rester. Deux hommes pourraient en arrêter cinquante dans ces escaliers étroits. "

« N’y a-t-il rien à faire » a demandé Jan.

Thur a réfléchi. « Vas avec tous les hommes et cherchez toute la paille des écuries, faites en des bottes, prenez tout le bois, l’huile et la graisse que vous pouvez trouver, ramassez le  jonc sur le sol dans le logis s’il n’y en a pas assez et apportez des torches. »

 

 

 

 

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