Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre XVIII – L’Esprit Dantilion (3)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

Il savait qu’ils allaient faire venir des esprits, probablement grâce au pouvoir de Dieu, mais son austérité naturelle était telle qu’il faisait une séparation naturelle entre le sexe et Dieu. Il ne considérait pas le sexe comme un péché, il y avait été bien trop confronté. Dans les abbayes régnait une grande débauche, mais il n’avait jamais pu accepter que les choses de l’esprit puissent avoir un lien avec celle de la chair. Lorsque Stephen Langton s’est approché de Dieu, il a voulu oublier jusqu’à l’idée de sexe. Il connaissait de réputation certaines pratiques de l’art magique, il savait qu’on disait que ces choses étaient nécessaires, mais il ne s’en approchait qu’avec une certaine inquiétude. N’était-il pas possible que les choses se fassent selon ses propres principes ?

Mais il devait faire ce qu’on lui disait, il était guidé par un esprit plus fort que le sien. Il connaissait son destin s’il rentrait en ayant échoué dans sa mission, surtout si sa propre faiblesse était responsable de cet échec. Pourtant une petite voix lui disait qu’il ne devrait pas chercher à atteindre ses ambitions de cette façon. Cependant il fut surpris et impressionné par tous ces objets, la rigueur de la purification, les citations des Saintes Ecritures et la mention répétée du nom de Dieu. Il s’attendait à quelque chose de légèrement négatif et même de diabolique ou du moins quelque chose qui s’en rapprochait, mais là il était face à quelque chose de si proche d’un service religieux que son esprit avait été élevé jusqu’au sublime et seule la vue de Morven a pu le faire revenir sur terre.

« Nous nous réunissons pour adorer Dieu, » a-t-il dit, « pour le supplier de nous permettre d’accomplir des merveilles. Enfile tes vêtements, femme, puisque tu vas te trouver en présence de Dieu. »

Thur s’est arrêté un pied sur l’échelle et a tourné la tête vers Stephen, la lumière de la lanterne projetait de grandes ombres sur les murs, donnant aux êtres humains l’apparence de géants. Troublé et plein de doutes, Thur a tourné la lanterne pour qu’elle éclaire le visage de Stephen sur lequel Thur pu lire qu’il était blessé et choqué. « Nous devons faire comme les rites le commandent, Stephen, » a-t-il dit. « Morven m’est indispensable dans l’art, je ne peux pas travailler sans elle. Vous savez qu’elle est une sorcière et elle doit donc être comme sont les sorcières, sans cela son pouvoir n’aura aucune efficacité. Oubliez ce qui vous distrait si vous voulez réussir. Concentrez-vous sur vos propres désirs, car si vous vous laissez perturber par la vue de Morven, ou par tout autre chose, vous perdez tout votre pouvoir. Vous devez vous habituer à la nudité, vous savez bien qu’un des plus vieux trucs des esprits malicieux est d’apparaitre sous l’apparence d’une femme nue pour tenter de détourner l’esprit de son objet, il ne faut pas que vous puissiez être perturbé par de telles choses.

- Mais, » a dit Stephen « Dieu est un fait inéluctable. La nudité en est un autre. Les deux sont tout aussi exacts dans leurs propres domaines, mais mon esprit a du mal à les associer, ça aurait un gout d’impiété et de blasphème. Ainsi je proteste contre ce blasphème.

- Stephen, » a dit Thur, « Il y a un instant vous avez dit que cette femme était comme Dieu l’avait faite, comment cela peut-il être un blasphème ? Dieu ne peut pas blasphémer. Morven doit être avec nous et nous ne devons pas limiter son pouvoir. Elle entre dans le cercle en étant mon disciple et vous êtes celui qui implore la grâce de Dieu. Nous agissons comme Dieu le veut, et si Dieu le veut, elle sera comme l’exige le rite. S’il ne daigne donner suite à nos demandes si le rite n’est pas pratiqué comme il se doit, qui êtes-vous, vous, un simple mortel, pour y trouver à redire ? »

Stephen avala sa salive. « J’ai peur, » dit-il sans ambages.

« N’ayez pas peur, concentrez-vous sur vos projets et sur celui qui vous a envoyé ici, il n’aurait pas de tels scrupules. Ne vous éparpillez pas, concentrez-vous sur vos désirs. Ne faites pas attention à des broutilles, sans cela nous échouerons.

- Je vous suis, » a dit sinistrement Stephen évitant d’en dire plus et en faisant de gros efforts pour surmonter sa haine pour la beauté de Morven. Oui, il avait soudain compris, voilà ce qu’il détestait. Si seulement elle n’était pas si belle, si exquise !

Mais dès qu’ils sont entrés dans le grenier son esprit fut distrait par les signes étranges tracés sur les murs. Puis il y a eu la merveilleuse cérémonie pour tracer le grand cercle, la consécration du feu, l’allumage des bougies, l’encens, dans ce cas il s’agissait de cèdre, de rose, de cannelle, de santal et d’aloès. Puis il y a eu la longue évocation et l’appel répété : « Viens Ô Dantilion! Dantilion viens ! Etant exalté par le pouvoir du Très-Haut, je te le dis, obéis au nom des puissances, Liachadae et Balachinensis, Paumachia et Apolgiae Sedes et les puissances Liachadae et les ministres de la maison de la mort. Je t’évoque et en t’évoquant je te conjure par le pouvoir du Très-Haut, je te dis ‘obéis !’ Au nom de celui qui dit, et la chose arrive, lui à qui obéissent toutes les créatures et tous les êtres. Moi que Dieu a fait à l’image de Dieu qui est le créateur et qui a donné son souffle de vie. Viens... au nom de celui qui est la voix et le miracle de Dieu tout-puissant, Eo, fort et indicible. Ô toi esprit Dantilion, je te dis ‘Obéis !’ Au nom de celui qui dit, et la chose arrive. Et par chacun de ces noms de Dieu : El, Elohim, Ehyah, Asher, Zabbaoth, Elion, lah, Tetragrammaton, Shaddai, Seigneur Dieu Très-Haut. Par ta force je dis ‘Obéi’. Ô esprit Dantilion apparais à son serviteur maintenant devant ce cercle. Par le nom ineffable Tétragramme, Jéhovah. Dont le son puissant est exalté fortement, les piliers sont écartés, les vents du firmament gémissent puissamment, la terre tremble et toutes les choses du ciel, de la terre et des domaines des ténèbres sont dans la tourmente et se mêlent dans le tonnerre. Viens Ô Dantilion ! Dantilion viens ! »

Stephen regarda la pièce emplie de fumée épaisse d’encens.

« Viens Ô Dantilion ! »  

La fumée se tordait et formait des formes qui disparaissaient presque aussitôt. Le cœur de Stephen s’est mis à battre plus vite et dans ses veines naissait cette frénésie occulte d’excitation qui accompagne la fixation de la volonté sur le désir. Le pouvoir ! De régner sur les rois. De créer une nouvelle loi pour que toute son Angleterre bien-aimée puisse obéir à la même loi et avoir la même protection. Il ne devait plus y avoir de serfs et les hommes devrait être libres d’aller, d’aimer et d’adorer où ils voulaient et voilà le don de Stephen de Langton.

« Viens Ô Dantilion ! Dantilion, viens ! »

Stephen s’agitait avec inquiétude, sa grande concentration le fatiguait, la fumée de l’encens devenait plus dense. Cela commençait à le faire souffrir mais il avait décidé de tenir bon. Il devait avoir le pouvoir, le pouvoir de régner sur les rois. A un moment sa concentration a baissé, les bras croisés, il regardait Morven remettre de l’encens. Une jeune fille, non, une fleur, une fleur de chair, sa bouche était comme un bouton de rose. Il se secoua, il ne devait pas avoir de telles pensées, il devait rester concentré, il ne devait pas vaciller le moins du monde. Il se secoua encore plus énervé. « Le pouvoir ! »

Il regarda la fumée qui montait il remarqua maintenant qu’elle circulait en un flux régulier à l’extérieur du cercle comme entrainée par un vent puissant. La pièce n’était maintenant plus du tout visible alors qu’il n’y avait absolument pas de fumée à l’intérieur du cercle. Il pouvait imaginer qu’il y avait des esprits dans ce nuage dense, mais ils étaient invisibles. Est-ce que la cérémonie ne s’arrêtera jamais ? Il ne devait pas penser à de telles choses, il devait se concentrer. Il savait que son esprit devait rester concentré mais il avait l’impression qu’une épée lui traversait le cerveau à cause de l’intense effort de concentration. Il rassembla ses pensées dans un suprême effort et se concentra avec une vigueur renouvelée.

Puis la fumée a frémi alors qu’un vieil homme, portant un gros livre, s’est avancé et s’arrêta à la limite du cercle. Pendant une seconde, Stephen a pensé qu’il s’agissait d’un homme qui était venu dans la pièce pour une raison ou une autre, mais il y avait une telle apparence de pouvoir dans ses yeux, un regard d’une beauté terrible sur un visage impressionnant, où l’on ne descellait ni la faiblesse humaine, ni la pitié, ni la miséricorde, il s’agissait d’un esprit. Ses yeux vous glaçaient l’âme et pourtant ils étaient affables. Il irradiait de pouvoir. Derrière lui on pouvait voir dans la fumée une foule de visages, des hommes et des femmes, se désagrégeant et se reformant.

La voix de Thur est passée de l’autoritaire à la douceur d’un salut, mais l’esprit l’a ignoré totalement. En cherchant Stephen, il dit : « Un mortel qui sait ce qu’il veut ! Voilà qui est intéressant. Des gens qui se piquent d’occultisme nous dérangent sans vraiment savoir pourquoi et ils cherchent à nous mêler à leurs petites affaires, comme c’est ennuyeux. Si nous devions leur accorder toutes les faveurs qu’ils demandent, cela aurait presque toujours l’effet inverse à celui recherché. Mais tu sais ce que tu veux. Les fous demandent souvent à devenir rois, alors que les rois n’ont que le pouvoir que leur donnent leurs ministres, mais tu as la bonne attitude et on doit pouvoir t’accorder ce que tu demandes. Je note aussi que tu ne demandes pas le bonheur.

- Le bonheur ! » La pensée a frappé Stephen comme une gifle, il a regardé Morven, mais maintenant sa beauté l’avait séduit, sa grâce, ses lèvres rouges, la ligne douce de ses bras, ses deux petits seins. Elle a vu son regard se modifier et elle secoua la tête impérativement.

Stephen a dit : « Non. Non. Non ! » criait son esprit. Le bonheur n’était pas pour lui. Il devait avoir une vie de pouvoir. Gouverner les hommes et les royaumes. Il n’avait pas le temps pour le bonheur!

Il a vu que Dantilion riait. « Tu as passé le test avec succès, l’ami, » dit-il. « Tu veux devenir cardinal et archevêque. Ça peut se faire avec le temps. Écoute maintenant. L’archevêque Hubert Walter est décédé il y a plus d’un an et les gens pensent qu’aucun successeur n’a encore été désigné. Mais, en secret, à minuit, les moines de Canterbury ont élu Reginald leur sous-prieur et l’ont envoyé à Rome pour confirmation. Mais le secret s’est ébruité et Jean sans Terre, dans sa rage, va forcer les autres à élire John Gray et l’envoyer à Rome pour confirmation. Le pape va dire que les deux élections sont nulles et demander une nouvelle élection, en sa présence, par les représentants des moines. Va donc à Rome sans tarder avec ce que tu sais. » Il fit une pause : « Tu as maintenant vu comment m’appeler, avec une volonté aussi forte que l’acier et un esprit aussi clair que la glace. » Il regarda autour de lui en réfléchissant. « Tu auras besoin de quelqu’un, une femme c’est mieux, une sorcière de préférence bien sûr, une religieuse peut-être, un jeune garçon peut parfois faire l’affaire comme médium entre le monde des hommes et celui des esprits. Quelqu’un qui peut générer beaucoup de pouvoir, comme cette fille.

Je vais m’en aller maintenant. Rappelles-toi tout ce que je t’ai dit. Il est inutile de me congédier. Je m’en vais, » et il s’est dissout dans la fumée.

« Vous avez de grands pouvoirs, » haleta Thur car lorsque l’esprit disparu, la fumée a tout à coup envahi le cercle. Ils se sont précipité vers l’échelle en toussant et crachant puis ils se sont précipité vers une fenêtre qu’ils ont ouvert en grand pour trouver de l’air frais.        

           

 

 

 

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