Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre XV - Charger les Pentacles (2)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

Jan Bonder ne pensait pas aux femmes et même son amour incroyablement romantique le mettait mal à l’aise. C’était plus de l’amour chevaleresque pour une étoile hors d’atteinte. Sa femme serait pour lui un moyen d’atteindre un but et non pas l’élue de son cœur. Il sera plaisant avec elle et il l’appréciera même et ils auront de nombreux fils robustes... et s’ils ne pouvaient avoir que des filles, elles pourraient représenter un atout pour Jan qui les mariera avec les héritiers de grandes familles, et là enfin ce petit presque paysan pourra devenir l’un des seigneurs les plus puissant d’Angleterre et, une fois rétabli dans ses droits, toute sa vie sera consacrée à empêcher la répétition du cataclysme qui était tombé sur son grand-père.

« Chat échaudé craint l’eau froide, » s’est dit Morven. « Même si mon aide peut le protéger de tous ses ennemis, ça ne sera que par des méthodes qu’il ne peut comprendre et qu’il n’aime pas, car il veut suivre des voies que lui seul connaît. Alors pourquoi me tourmenter avec ce sentiment blessant d’être ignorée ? Jan ne m’aime pas, il me remarque à peine et il doute de l’aide que je peux lui apporter, il doute même parfois de Thur. Il ne réalise pas que les hommes armés et robustes peuvent naître de l’imagination. Il les a désirés, et maintenant j’ai eu pour lui les hommes. Les armures et les épées vont suivre d’une façon ou d’une autre, je le sais, tout comme leur entrainement fera que ces paysans se transforment en soldats, ceux que désire tant Jan… mais il ne peut pas le voir ni comprendre le fil qui relie ses rêves, comme un fil relie ensemble les perles d’un collier. Il peut par contre être déçu que je ne sois pas une vieille sorcière qui peut semer des dents de dragon et en faire naitre, par miracle comme il le pense, des hommes bien armés qui l’aideront dans son combat. »

Elle recommença à rêver. Avait-elle si peu de force qu’elle ne pouvait pas surmonter une fantaisie capricieuse pour un homme qui ne voulait manifestement pas d’elle ? Etait-ce que son orgueil était si grand ? Est-ce que ce n’était pas plutôt sa vanité qui souffrait, car sa beauté, même si elle faisait tourner la tête des autres hommes, ne pouvait pas aussi asservir Jan, aveugler ses ambitions et en faire un amoureux transi ? Elle devrait avoir honte d’avoir un désir aussi dérisoire, une veulerie aussi misérable. Morven subissait l’escourge de l’amour.

A un virage Morven a réalisé qu’elle était arrivée au point de rendez-vous où Thur l’attendait sous un arbre. Le cheval et son cavalier étaient si immobiles qu’ils auraient pu être des statues de bronze. C’était un cavalier magnifique, vêtu de vêtements bistres bien coupés adaptés à la monte (car Thur était un dandy qui prenait soin de son apparence), la tête découverte sous la forte lumière du soleil, cela faisait un tableau majestueux.

Il la cherchait dans la direction opposée, car elle était arrivée par l’autre côté du lieu du rendez-vous, elle l’a donc vu de profil. Elle a remarqué son front haut et beau encadré d’une abondante chevelure blonde, presque blanche, son nez assez fort et la pureté des lignes de sa bouche et de son menton. Comme elle était heureuse de le revoir, il lui semblait que ça faisait une éternité qu’elle ne l’avait plus vu et pourtant ils ne s’étaient séparés qu’il y a à peine un jour et demi. A peine avait-il remarqué sa présence que Morven avait posé sa tête sur l’épaule de Thur. « Ô Thur, comme vous m’avez manqué, » murmura-t-elle. Il a mis son bras autour de ses épaules. L’amour qu’elle portait à Jan l’a fait encore plus souffrir, elle s’est mise à pleurer parce que Jan avait presque ruiné ses efforts pour lui venir en aide par son opposition morose et son manque de foi en elle.

« Pourquoi ces larmes, Morven ? » a dit Thur, levant le menton de Morven avec son index pour la regarder en face. « Est-ce que quelque chose s’est mal passé ? Pourquoi les garçons ne sont-ils pas avec toi ?

- Ce n’est rien, Thur. Jan n’est pas loin et à part Maîtresse Hildegarde tout va bien.

- Alors, pourquoi ces larmes ?

- Parce qu’à part vous, tous les hommes sont des bons à rien.   

- Oh, » a dit Thur intrigué puis il lui a souri avec tendresse. « Alors plus de larmes chère enfant.

- Vous m’avez tant manqué, » soupira-t-elle.

- Toi aussi tu m’as manquée... plus que tu ne peux l’imaginer, mais maintenant tout ça c’est du passé. »

Ils sont tous deux remontés à cheval et sont rentré à la maison. En chemin elle lui a raconté tout ce qui s’était passé et le succès de leur mission.

« Voilà de bien bonnes nouvelles Morven, mais je n’aime guère ce que tu me dis sur Hildegarde, elle sait que tout commérage va surtout nuire à ses propres fils et à elle-même, mais elle a la langue bien pendue. Nous devons agir avant qu’elle ne nous mette en danger. Et les frères, est-ce qu’ils t’ont accepté ?

- Oui, ils nous ont bien accueilli et ont accepté Jan comme chef.

- Et comment Jan s’est comporté ?

- Très bien... un véritable petit seigneur.

- Oui, Jan est parfait pour ça... et toi Morven ?

- Jan a déjà tout prévu de sa vie future, Thur, il nous l’a dit lui-même, il a prévu non seulement sa propre vie mais aussi la nôtre, celle d’Olaf et la mienne. Il va chercher à se marier avec la fille de l’homme le plus puissant auquel il pourra s’adresser et qui l’acceptera comme gendre. Olaf deviendra son capitaine et moi je devrai épouser Olaf. »

Thur l’a fixée, remarquant ses paupières rougies, il en connaissait la raison. « Quelle est cette folie ? » demanda-t-il avec colère.

« Pas une folie, mais un plan auquel il a mûrement réfléchi. Il est inutile de froncer les sourcils, Thur. Il ne changera pas d’avis !

- Mais, » a explosé Thur indigné devant ce qui lui semblait être une monstrueuse ingratitude, « Le jeune coquin! Est-il aveugle ?

- Non, il n’a d’yeux que pour la belle de Londres. Il l’a vue, et il n’a plus vue qu’elle, et depuis il ne me voit plus. Contentons-nous de ça Thur et n’en parlons plus.

Thur était soucieux. « Je vais te le faire revenir, je te le promets.

- Vous n’allez pas faire ça Thur.

- Le jeune arriviste! Il n’a pas encore atteint son but et il pose déjà ses conditions. Je vais devoir m’entretenir avec Maitre Jan. Quelle plaie ! Qu’a-t-il prévu pour moi ? Vais-je devoir porter un bonnet et des clochettes et m’assoir à ses pieds ?

- Thur, soyez raisonnable, c’est sa vie qu’il organise, de quel droit vous ou moi devrions lui dire de ce qu’il doit faire ? »

Thur s’agitait sur sa selle. « Ne t’a-t-il jamais vraiment regardée ? Il a bien dû te voir la nuit dernière ? »

Elle baissa les yeux en se mordant les lèvres.

« Et cela n’a rien changé en lui ?

- Non, pourquoi est ce que cela aurait dû changer quelque chose ?

- Que Dieu nous aide, qu’est-ce qui lui arrive ? Qu’est ce qui lui manque ? »

En dépit de son chagrin Morven a éclaté d’un rire si joyeux qu’il a fait disparaitre l’exaspération de Thur et soulagé, il a retrouvé sa bonne humeur. Morven en avait parlé parce qu’elle voulait qu’il cesse d’y penser une fois pour toute, il avait bien trop envie que Morven épouse Jan... Maintenant elle savait que même s’il n’en parlait plus, cette idée ne sortira pas de sa tête, mais d’avoir obtenu son silence sur le sujet été déjà une victoire, d’où son rire, qui était tout à fait sincère. « Est-ce que vivre longtemps avec Hildegarde ne dégouterait pas n’importe quel homme de s’intéresser aux femmes ?

C’était maintenant au tour de Thur de rire. « En effet. Pauvre femme, elle a connu de grands malheurs.

- Parce que lorsque Hugh est parti ils étaient fâchés ?

- Il y a de ça... elle l’a chassé, même si elle l’aimait beaucoup et il est mort.

- Il aurait mieux fait de la maîtriser au lieu de s’éloigner d’elle.

- Je le lui ai dit très souvent, il était comme Olaf, il détestait les disputes même s’il était un excellent soldat. Mais cela montre clairement que nous devons commencer tout de suite, faire en sorte que tous nos talismans soient prêts et entrer dans le grand cercle dès que possible car qui peut dire pendant combien de temps Hildegarde saura tenir sa langue ?

- Oui, » et ils chevauchèrent en silence.

Puis Thur s’est remis à parler : « Frère Stephen est revenu la nuit dernière, nous avons parlé jusqu’à tard dans la nuit.

- De quoi ?

- De presque tout. Il ne restera pas toujours un obscur frère, le clerc d’un abbé jouisseur, dans une campagne perdue anglaise.

- Pourquoi perd-il son temps ici ? N’était-il pas à Paris ... comme le disent les ragots ?

- Oui, il avait une école de théologie et il va y retourner cela ne fait aucun doute, bien que certains disent que ses élèves ont été taxés d’hérésie. Je ne sais pas ce qu’il cherche, mais il n’est pas ici pour rien. »

 

 

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