Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre XV - Charger les Pentacles (1)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

Morven était couchée sur l’herbe à une dizaine de mètres du chemin forestier. Près d’elle sa petite jument mangeait en toute quiétude un carré d’herbe. C’était un animal docile, Morven y était très attachée et à chaque instant elle lui murmurait des paroles apaisantes pour l’aider à effacer le souvenir de la frayeur que la jument et sa cavalière avait connue ce matin

Blottie dans un nid de feuilles mortes, Morven avait dormi paisiblement et profondément pendant quelques heures. L’endroit était isolé et ombragé et elle sentait les rayons du soleil traverser les arbres et toucher ses paupières. Cela l’a réveillée et elle est restée là, couchée, les bras croisés derrière la tête, à repenser à ses expériences récentes.

« Les talismans ont fonctionné, » songea-t-elle « nous avons passé sans problèmes ni question les portes de la ville, et, ressemblant à des fermiers, pourquoi les gens devraient nous prendre pour autre chose ? En général les gens ont mauvaise mémoire. Si un homme a l’apparence adaptée et qu’il se comporte comme il faut, est-ce que les talismans lui donnent la confiance nécessaire ? Peut être ... et pourtant, le danger réside dans les propos d’Hildegarde. Elle est intelligente et sait que s’il y a des soupçons, elle sera la première à être arrêtée et soumise à la question. Tout d’abord à cause de son mari, puis au sujet de ses fils. Elle devrait donc tenir sa langue, colère ou pas, elle sait bien que certaines tortures délient tôt ou tard toutes les langues. Nous devons donc nous dépêcher d’agir car les rumeurs peuvent trahir les rencontres dans la forêt. » 

Elle se leva et débarrassa ses vêtements des brindilles qui s’y étaient accrochées. Elle marcha ensuite sous les arbres jusqu’à une clairière où il y avait une mare, sombre et propre avec un fond en galets. Le soleil se reflétait sur une partie de ses eaux brunâtres et calmes, des saules pleureurs y projetaient aussi leurs ombres par endroit. Sa jument l’avait suivie et en claquant des doigts elle a fait signe de boire à l’animal. Les ondulations s’élargissant autour du museau de la jument semblaient lui faire signe, Morven a glissé hors de sa robe et l’a lavée aussi bien qu’elle a pu sans utiliser de savon, et elle l’accrocha à un buisson pour qu’elle sèche.

Puis elle s’est plongée dans la mare et s’est lavée en frottant avec énergie jusqu’à ce que les traces de suie aient disparues. Elle a fait trois fois le tour de la mare en nageant, ses cheveux roux-or flottaient autour de ses épaules. Ensuite, sortant de l’eau elle s’est couchée sur l’herbe sèche, secouant ses cheveux pour en chasser les gouttes, aidée par le soleil et le vent.

Au milieu de la clairière il avait un bouleau argenté isolé et elle sentait une sorte d’affinité entre cet arbre et elle. Non seulement ils partageaient une certaine grâce, mais ils semblaient tous les deux venir d’un autre monde, ils avaient une beauté éthérée qui, tout en faisant le bonheur de l’œil, allait au-delà de la satisfaction purement physique et provoquait une émotion presque douloureuse... la perfection de la délicatesse.

Le chant du rossignol a cette même qualité de perfection et de beauté dans le domaine de la musique. C’est le mystère de la féerie, l'apothéose de l’imperceptible, un sentiment de péril, indéfinissable mais séduisant, tapit dans des chemins étrange où réside une telle beauté.

Le souffle de la douce brise à travers les branches du bouleau les faisait se balancer, chaque feuille fragile vibrait sous la lueur du soleil et les tons plus sombres de l’écorce tachetée semblaient être faits de bronze et d’argent. L’arbre était non seulement vivant et dansant, mais il chantait pendant qu’il dansait, un acte d’adoration, obéissant à une loi et pratiquant un rituel ancien, qui remontait jusqu’aux premiers matins du monde.

Attirée par le bouleau argenté, Morven a fait une grande ronde autour de l’arbre et s’est mise à danser, remplie de la joie violente d’être seule et d’être sa propre maîtresse pour la première fois depuis des mois. Pourtant, il n’y avait rien de bachique dans sa célébration, c’était plus une suite de postures où son jeune corps se penchait et  se balançaient en suivant le rythme de l’arbre. Elle balançait lentement ses bras comme s’ils étaient des branches et ses pieds suivaient un pas complexe, comme si elle tissait un charme dirigé vers la dryade du bouleau.

Elle n’a pas chanté, se contentant de fredonner doucement, la tête en arrière et la gorge courbée comme la faucille de la lune, le soleil la douchant d’une multitude de tons de rose et de perle, et le vent jouant dans ses cheveux lumineux.

Soudain, elle s’arrêta. Une conscience extérieure atteint son esprit. Elle savait qu’elle n’était pas seule et elle savait que c’étant Jan qui la regardait. Elle a fait comme si elle ne s’était rendue compte de rien mais elle est allée tranquillement récupérer ses vêtements et s’est rhabillée.

Quant à Jan, il avait rencontré quelques difficultés à rattraper son cheval qui s’était échappé de la ferme. Quand il eut réussi, Morven était loin, hors de vue, mais il savait à peu près dans quelle direction elle était allée.  

Pourtant, elle n’avait pas suivi exactement le chemin qu’il pensait, il lui a fallu des heures de recherches patientes, mais enfin il avait aperçu ses bras levés lorsqu’elle accomplissait cette danse païenne autour de l’arbre. Jan était inquiet, pas uniquement pour la sécurité de Morven, mais il craignait aussi le mécontentement inévitable de Thur. Ainsi il était resté caché à la regarder pendant qu’elle dansait, vérifiant qu’aucun danger n’approchait. Il ne l’espionnait pas même s’il se demandait si c’était la lueur de la lune ou l’éclat du soleil qui mettait le mieux en valeur la perfection du corps nu de la sorcière et il lui était impossible de se décider car chacun mettait en avant un aspect différent de sa beauté.

Jan sentait que ce qu’il faisait là était mal... pourtant, son désir de continuer à profiter de ce spectacle merveilleux était très grand, il hésitait entre la tentation de satisfaire le désir et sa volonté ferme de ne pas céder surtout qu’il avait vraiment craint de ne pas parvenir à rattraper Morven ... et, pendant qu’il regardait, elle a cessé de danser, il savait qu’elle avait remarqué sa présence.

Au grand soulagement de Jan, elle n’a pas essayé de découvrir sa cachette, mais elle est tranquillement allée chercher ses vêtements et s’est habillée, puis elle est montée sur sa petite jument et s’en est allée comme si elle n’avait pas eu conscience de la présence de Jan ... une manœuvre subtile qui permettrait à Jan de la suivre et de la rattraper à nouveau dans des conditions moins gênantes pour eux deux.

Jan a attendu un certain temps, jusqu’à ce que la jument et sa cavalière soient hors de vue puis il est remonté lui aussi sur son cheval et a suivi Morven de loin, il a fait en sorte de la rattraper progressivement leur laissant à tout les deux le temps de se ressaisir. Dans son cas, c’était plus facile que cela ne l’était pour elle, car savoir que Jan pouvait avoir assisté à sa danse avait fait cesser brusquement chez Morven le grand plaisir trouvé dans les joies simples de la vie et elle se trouvait à nouveau confrontés aux dures réalités de la vie. Elle pensait à nouveau à son amour pour lui, aux sentiments qu’il éprouvait pour la dame de Londres et sa déception quand Jan avait dit qu’il était déçu qu’elle ne soit pas une femme laide, vieille et méchante. Est-ce qu’un homme avait déjà nourri un tel ressentiment contre une fille avant ? A cette pensée, elle s’est mise à rire de façon diabolique, effrayant une pie qui s’est envolé de l’arbre. Pourtant, c’était comme ça, elle devait ravaler son ressentiment.

 

 

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