Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre  XIV- Le Saut du Cerf (1)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

Tranquillement, ils ont suivi Peter le taciturne sur ce qui semblait un chemin bien compliqué. Ils ont marché au milieu de hêtres géants, sous la lune pâle. Ils ont dépassé de gros rochers, croisé des ombres terrifiantes, ils ont traversé des clairières où des cerfs ont fui en silence à leur approche. La lune était pleine, il n’y avait pas un nuage dans le ciel, la nuit était étouffante malgré la brise qui chassait toute ébauche de nuage. A l’horizon des éclairs de chaleur éclataient régulièrement, illuminant brièvement et vivement les branches et les feuilles et les arbres.

Sans relâche, Peter a poursuivi ce voyage apparemment sans but pendant plus d’une heure sans jamais hésiter, se guidant sur des repères invisibles pour eux, jusqu’à ce qu’ils aperçoivent un affleurement de rochers à l’extrémité d’une grande clairière. En s’approchant, ils ont vu qu’il s’agissait d’un amphithéâtre naturel, herbeux, dont la base était large et où de nombreuses personnes s’étaient rassemblées.

« C’est ici, Demoiselle, » a dit Peter, « d’habitude il n’y a que quelques personnes qui se retrouvent ici à la pleine lune, mais nous avons envoyé des messagers et appelé tout le monde à des kilomètres à la ronde. Les fermiers ont fait de grands yeux et raconté que leurs chevaux avaient été montés par des fées quand ils ont vu les chevaux couverts de sueurs et fatigués le matin. » Il est descendu de cheval et aida Morven à faire de même. Il a ensuite attaché les chevaux, puis il a conduit sa petite troupe vers un endroit en surplomb d’où ils pouvaient voir une demi-douzaine de feux, et ils sentaient une odeur des plus appétissantes, du gibier en train de cuire. Là ils furent accueillis par le vieux Simon qui a placé les frères avec leurs hommes, puis il dit à Morven : « Demoiselle, j’ai parlé à de nombreuses personnes mais ils sont encore incertains Tu dois leur montrer un signe et qu’ils constatent que tu es vraiment une prêtresse. » Elle hocha la tête. Simon a pris Morven par la main et l’a conduit vers le grand rocher qu’ils avaient vu en premier. Il était clair qu’il voulait que Morven apparaisse devant les siens comme prêtresse de l’ancienne foi. Il l’a conduit sur le chemin jusqu’au centre de l’éperon rocheux, il s’agenouilla, lui baisa la main et se retira. Morven compris, elle retira ses vêtements d’homme et montra son athamé.

« C’est un lieu bizarre et un drôle de moment pour toi et moi, Jan, » a murmuré Olaf.

« Je n’aime pas ça,» a répondu à voix tout aussi basse Jan avec une conviction intense. Puis il a ajouté avec plus d’optimisme en regardant autour d’eux : « Il y a ici des hommes qui nous seraient bien utiles. Pourquoi ne peut-on pas compter sur ces hommes sans toutes ces simagrées ? 

- Quelle que soit la façon dont tu l’appelles, c’est toi qui le premier à cherché l’aide de la magie, et avec plaisir en plus. » a répondu Olaf en ajoutant un peu plus tard : « Regarde Jan, as-tu déjà vu quelque chose d’aussi beau ? »

Lorsqu’elle a dépassé le rocher, Morven, nue, s’est retrouvée dans un espace herbeux, semi-circulaire formant une sorte de plateforme au-dessus de l’amphithéâtre. On voyait bien que cette plateforme avait été taillée de main d’homme à une époque préhistorique. D’un pas solennel elle est allée jusqu’au bord de la plateforme en tenant son précieux athamé dans sa main droite. Elle a solennellement béni l’assemblée avec son couteau.

Jan grogna en la regardant. Olaf lui soupira d’extase devant la beauté du spectacle. « Vois comme la lune tombe sur elle, comme si elle l’aimait et qu’elle l’a reconnaissait comme l’une de ses parentes. Elle brille là comme une perle de grand prix.

- Mais pourquoi doit-elle rester là, nue comme Dieu l’a faite ? » a répondu Jan devant l’enthousiasme de son frère.

- Ne peux-tu pas regarder l’œuvre de Dieu sans être gêné ?

- Mes yeux le peuvent comme tout le monde, mais je n’aime pas ça, pas plus que ça ne m’aide. J’ai besoin d’hommes armés, pas d’une fille coriace qui joue avec un couteau. Pour ce qui est de Dieu, je pense qu’il n’a pas grand-chose à faire dans cette histoire. »

Olaf a dit : « Je n’en suis pas aussi sûr. »

Quand Morven a levé son athamé en signe de bénédiction, il y a eu un murmure venant des gens en contrebas : « Ahha! Ahha! Evoh! Ahha! »

Soudain, derrière elle, une harpe invisible a commencé à jouer. Pendant un temps, la musique a retenti avec effet bizarre, comme si elle était jouée par les doigts d’une fée, ce qui semblait renforcer encore l’étrangeté de cette scène. Peu à peu, d’autres harpistes dans l’assistance ont repris le thème et les gens ont commencé à chanter à voix basse, en harmonie avec les harpes. Cet air a gonflé superbement, lorsque les chanteurs gagnèrent en confiance, se transformant un chant à pleines voix.

La scène familière, les feux, les chants, ont rappelé à Morven sa mère, son enfance, ses camarades qui avaient subi des tortures et la mort à cause de leur foi. Pendant un instant, elle fut étranglée par les larmes, mais elle ne pouvait pas afficher maintenant ses émotions. Ce soir elle était la messagère des dieux. En prenant sur elle, elle a retrouvé son aisance, ravalé ses larmes et s’est forcée finalement à se joindre au chant. Il y a eu une pause puis un silence prenant. Une fois encore elle a levé la main et son athamé en signe de bénédiction magique. A nouveau il y a une réponse murmurée et le silence.

Les cordes de la harpe ont entamé un nouvel air, un chant lui souhaitant la bienvenue,  à elle le Messager, la Demoiselle. Un air plus chaleureux, plus riche, plus humain, où des voix de jeunes filles se mêlaient aux douces voix de soprano des garçons, soutenu par les notes plus fortes et plus graves des anciens dans toute leur variété de ténor et de basse.

Quand ce chant s’est éteint lui aussi, il y a eu un grand cri de bienvenu et de salut. « Evoh Ah! Evoh Ah! Salutations, Ô Messager! Quelles nouvelles des bons dieux nous amènes-tu ? Cela fait si longtemps qu’ils nous ont abandonnés. Quand reviendront-ils pour nous sauver de tous les maux dont nous souffrons ? Et quand nous sauveront-ils de nos ennemis ? Venez, Ô revenez-nous, Ô vous qui êtes brillants et heureux. »

De partout l’assistance reprenait le cri enthousiaste. « Quelles nouvelles ? Parle, Ô Messager. »

Morven a attendu que les cris s’éteignent puis elle s’est mise à parler lentement, d’une voix que tout le monde pouvait entendre même ceux qui étaient les plus éloignés. « Bonnes gens, mon cher peuple, je suis venu pour vous apporter réconfort, pour vous apporter l’espoir et la promesse du retour de tout ce que vous aimez, pour vous apporter la joie. »

Il y a alors eu un cri puissant mais tous se sont tus lorsqu’elle a levé la main.

« Calme. Laissez parler la Demoiselle, » a demandé le vieux Simon.

« Mais si je viens avec de bonnes nouvelles, vous n’aurez rien sans effort, mais ça vous le savez bien. 

- Oui, oui, nous le savons, Messager bénie. Dis-nous ce qui nous attend.

- Avant que je puisse vous aider, nous devons d’abord vaincre nos ennemis. Et vous savez qu’ils sont nombreux et puissants.

- Nous le savons, nous le savons, » a répondu la foule en une sorte de chant de deuil.

« Mais même s’ils sont plus nombreux que nous, nous avons un avantage et nous allons l’utiliser. Nous sommes malins et nous pouvons utiliser notre esprit pour agir par ruses et stratagèmes. Si nous avons ne serait-ce qu’un de leurs châteaux forts entre nos mains, si son seigneur est de notre côté, il nous accordera sa protection. Nous retrouverons alors la liberté d’adorer les dieux comme nous le voulons. A nouveau nous pourrons rendre la terre fertile et l’abondance sera de retour. A nouveau nous pourrons retrouver le bonheur, danser, et festoyer. La sécurité et la joie seront de retour, comme autrefois. 

Les gens ont commencé à parler entre eux, on a d’abord entendu des mots incompréhensibles, puis cela s’est transformé en un cri : « Un chef. Nous suivons un chef ! Où est notre chef, Ô Demoiselle ?

Les bons dieux vous ont envoyé un chef et je suis venue vous l’annoncer. Mais… avant que je vous le présente, vous devez d’abord me dire si vous allez lui accorder toute l’aide que vous pourrez ?

- Nous apporterons notre aide. Nous allons nous battre. Nous serons fidèles et jurons fidélité.

- Vous parlez comme des esprits audacieux et sincères, mais, hommes de la forêt, avant tout, soyez muets comme des tombes, car si nos ennemis avaient vent de nos projets, nous perdrions l’avantage inestimable qu’est la surprise. Tous nos efforts seront alors vains et nous serons battus. Alors, jamais nous ne pourrons nous relever de ces ruines et jamais plus les bons dieux ne reviendront et le bon vieux temps ne reviendra plus jamais ! »

 

 

 

 

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