Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre  XIII – Les Jarretières Rouges (1)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

Il y a eu, peu après, un appel pour le repas, un repas bien triste. Les ouvriers agricoles se sont regroupés dans la pièce, tout le monde s’est mis à table en silence. Chinnery s’est assis précautionneusement, avec une grimace douloureuse qu’il a rapidement effacée. Hildegarde s’est assise en tête de table avec Morven (désormais vêtue sobrement d’une robe verte) à sa gauche, Jan à sa droite et Olaf à côté de son frère. Les bonnes ont servi tout le monde avant de prendre place à table. La nourriture était bonne, saine, abondante et bien cuisinée, il ne manquait qu’une bonne ambiance. Comme tous les tyrans, Hildegarde était profondément irritée par les effets de sa propre tyrannie. « Pourquoi fallait-il que ses gens soient toujours aussi maussades et silencieux ? » elle bouillait, ce qui ne faisait qu’accroitre sa colère. Elle s’en voulait d’avoir capitulé, empêchée par elle ne savait pas quelle manœuvre, de noyer ses fils sous le flot de ses reproches pour s’en être allé sans son autorisation, puis (insulte couronnant le tout) une manigance a fait qu’elle accepte d’inviter cette rousse au teint pale dans sa maison. De temps à autre elle regardait Morven avec aigreur, se disant pleine de venin qu’elle était assise là comme une princesse, à manger du bout de ses doigts délicats en faisant des manières. Quant aux frères Bonder, des chats sur un toit brûlant étaient infiniment plus à l’aise qu’eux. Ils mangeaient impassibles, avec avidité, l’esprit vide, conscients que la colère de leur mère risquait d’éclater.

Quand le silence devint si lourd que même Hildegarde a senti qu’il s’agissait d’un reproche au sujet de son manque d’hospitalité, elle s’est tournée vers Morven et a dit de façon aussi courtoise qu’elle le pu : « Tu dis que tu cherches les tiens, ma fille.

- Oui c’est ça, maîtresse.

- Comment s’appellent-t-ils? Je ne connais personne qui pourrait être proche de toi.

- Robin Artison, on l’appelle aussi parfois Robin Hood. Janicot, qu’on appelle aussi souvent Petit-Jean, Simon, qu’on qualifie aussi de Seigneur des Bois. Il y a aussi Kerewiden. » a dit clairement Morven en regardant Wat. Elle l’a vu donner des coups de coudes à ses compagnons, de chaque côté, et ils se sont tournés les uns vers les autres et ont commencé à parler à voix basse.

« Eh bien, je n’en connais aucun, il va te falloir chercher plus au loin. Je me demande comment Thur a pu t’envoyer ainsi vers l’inconnu, il doit chercher à se débarrasser de la responsabilité de ta tutelle. »

Jan a regardé avec colère mais n’a pas ouvert la bouche.

« C’est moi qui avait envie de les retrouver, » a répondu sagement Morven. Elle regarda les hommes qui eux la regardaient avec un espoir pathétique. Elle devait leur parler, et rapidement, mais comment faire ? Elle savait que si elle pouvait s’éloigner de la famille Bonder, les hommes trouveraient un moyen de l’approcher, mais comment faire ?

« Les noms sont étranges. Qui était votre mère ?

- Une femme bonne que mon père aimait beaucoup. Elle est morte quand j’étais une petite enfant.

- Oui, ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers, j’ai toujours dit à Jan et Olaf qu’ils feront de vieux os.

Cela a fait rire Olaf : « Et je t’ai toujours dit que je te croyais et que ça risque bien de se passer comme ça. »

Il y a eu un long silence. Hildegarde ruminait, comment Jan avait-il pu faire venir cette fille à la maison. Ce grand dadais croit sans doute être amoureux d’elle et il espère passer quelques moments avec elles sans être dérangé, ce qu’il ne pouvait pas faire dans la maison de l’oncle de Morven. Après il aura envie de l’épouser et de la faire vivre ici et en faire la maîtresse de maison. Ensuite Morven essayera de prendre le pas sur elle et elle risque même de la chasser de la ferme. Hildegarde se plaignait toujours amèrement de tout le travail qu’elle avait à faire parce que ses fils étaient partis s’amuser, mais rien que de penser à une belle fille, même si cela signifiait qu’elle serait déchargée de certaines tâches pénibles, l’irritait au plus haut point. Elle veillera à ce que Jan n’ai aucune chance de se retrouver seul à seul avec Morven.

Elle fut interrompue dans ces ruminations par Morven : « Maîtresse, je n’en peux plus du cheval, je vous en prie, laissez-moi retourner vos plates bandes, ça me fera du bien au dos. » En disant cela elle a regardé les trois hommes. « Jan pourrait peut être me trouver une bèche et me montrer où retourner la terre ? »

Jan a fort honnêtement exprimé ses protestations : «Non, Morven, tu ne vas pas faire ça, tu es notre invitée et tu es fatiguée. Est-ce que tu crois vraiment que notre mère acceptera ça ?

- Oui, » a dit Morven impassible, « et toi aussi lorsque tu sauras que c’est nécessaires.

- Comment ça nécessaire ? » a demandé Hildegarde.

- Je dois aider lorsque mon aide est nécessaire, mais je ne peux pas aider sans outil, Jan »

Son utilisation du mot « aide » a fait tilt dans son esprit, il s’est souvenu de sa discussion avec Olaf, il n’a plus fait aucune objection. « Je vais te trouver une bèche et tu pourras creuse r où bon te semble si tu as vraiment besoin de creuser.

« Tu vas rester avec moi, Jan, » a commandé sa mère qui voyait là une ruse pour permettre aux deux tourtereaux de s’éloigner et d’être ensemble. « J’ai besoin de toi. Olaf ira. »

Olaf n’était que trop heureux de suivre Morven à l’extérieur. « Que fait-on Morven ? » a-t-il murmuré.

« Je ne peux pas encore te le dire, mais trouve-moi un endroit où l’on ne pourra pas me voir de la maison, puis il te faudra embobiner ta mère avec des mots doux ... et l’éloigner.

Olaf fronça les sourcils : « Elle sera bien trop occupée à garder Jan loin de toi pour t’espionner. »

Elle s’est mise à rire tristement : « Elle ne sait donc pas qu’elle n’a rien à craindre de ce côté-là ?

- J’ai l’impression que cela te peine beaucoup, Morven » s’aventura Olaf.

« Moi et la peine avons été proches pendant de nombreuses années. Je serais perdue sans les miens. »

Il n’a plus rien dit mais il l’a conduit vers un bout de terre qu’il avait commencé à retourner et lui a tendu une pelle en bois renforcée de fer. « Ici tu pourras travailler en paix, sans être vue. Dois-je travailler avec toi, Morven ?

- Est-ce que c’était sage ? » a-t-elle demandé, en souriant tristement.

- Oh que non, » a-t-il répondu en soupirant. « Morven, conseille-moi, j’en ai vraiment besoin. Ma mère est ma mère. Ça je ne pourrai jamais l’oublier. Quand je suis loin d’elle, je pense souvent à elle avec tendresse et tout mon amour, mais quand je suis près d’elle cet amour s’en va et je n’ai plus envie que de me rebeller contre elle. Combien de temps un homme doit-il souffrir de l’esclavage ?"

« Plus un instant s’il peut s’en libérer. Sois courageux, Olaf, dis ce que tu penses avec fermeté, sois aimable et raisonnable, mais inébranlable. Aucun homme ou aucune femme n’a le droit de dominer ses semblables sauf si ceux-ci l’acceptent de bonne grâce.

- Tes paroles sont sages et justes, je pense comme toi, mais j’hésite pourtant.

- C’est naturel. Va-t-en maintenant, avant d’attirer sur moi les foudres de ta mère. »

Il s’éloigna, Morven a attaché ses jupes et s’est mise a travaillé avec ardeur. Ca faisait plusieurs semaines qu’elle n’avait plus travaillé la terre et l’odeur de la terre fraichement remuée était agréable à ses narines. Creuser était un travail qu’elle aimait et elle savait ajuster son corps à son rythme. Elle avait terminé la seconde rangée lorsqu’elle a vu trois hommes ; ils marchaient dans les champs et se dirigeaient vers des cabanes en se retournant régulièrement pour la regarder. Elle les a vu disparaître ce qui l’a troublée. Est-ce que ses jarretières rouges n’ont pas d’autre effet que de provoquer quelques regards et murmures inutiles ? Est-ce que les hommes avaient trop peur de Maîtresse Hildegarde pour s’aventurer près d’elle ? La quatrième rangée était presque achevée quand elle a soudainement remarqué que Wat, Samkin, Chinnery et trois autres hommes, chacune armé d’une bêche se tenaient debout derrière elle, la regardant avec une attention considérable. « Que cherchez-vous ? » a-t-elle demandé. « Qui êtes-vous ? » a dit Morven aux trois autres.

« Simon Pipeadder et ses fils, Pierre et George, maîtresse, » a dit Samkin.

« Est-ce vrai, maîtresse ? » a demandé Simon anxieusement.

« Est-ce que quoi est vrai ? » a-t-elle demandé prudemment.

Il hésita et murmura: « Ma Truda, sur flanc de la colline là-bas ... 

- Oui elle est venue en courant pour nous raconter qu’une personne portant le signe du messager chevauchait avec les jeunes maîtres.

- Quel signe ? On m’a enseigné la prudence et mon enseignant était sévère.

- Il parle des jarretières rouges, maîtresse, » a dit Wat avec impatience.

« Est-ce que c’est vrai ? Etes-vous le messager ? Est-ce que les beaux jours reviennent à nouveau ? » a demandé Samkin.

« Nous sommes rentré de la ville plus vite que jamais, et lorsque nous avons vu Maitre Jan et Maître Olaf avec toi et que nous avons songé à la distance qu’il vous restait encore à parcourir avant d’arriver ici, nous avons pensé que vous étiez des fantômes. »

Elle a soulevé ses jupes et montré les jarretières rouges puis a laissé retomber ses jupes. En voyant les jarretières les hommes tombèrent à genoux, en chantant dans une sorte de chœur : ‘Ô jour béni Demoiselle, quand allons-nous nous retrouver ?’

« Pas si vite, » a-t-elle dit, « on ne doit pas nous voir parler ensemble et trainer ici. Dispersez-vous et retournez au travail.

- Hors de question de retourner au travail, » a protesté Chinnery.

« Pas étonnant que vous preniez des coups, » a dit Morven.

« Paix, imbécile, fais ce que dit la Demoiselle ou il va t’en cuire » s’écria Wat.

 

 

 

 

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