Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre  XII –  Spurnheath (3)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

Olaf aimait comme aiment les garçons imaginatifs : timidement, secrètement, délicatement, tout en dégustant les douceurs sans penser, ou en tout cas pas beaucoup, à leur accomplissement charnel, estimant qu’il serait suffisamment temps pour parler mariage quand l’amour de Morven serait mort de privations et de négligences et ce n’est qu’alors qu’elle pourrait se tourner vers lui. Lorsque, par leurs efforts conjugués, ils auront fait de Jan quelqu’un d’important, qu’allait-il advenir de Thur, de Morven et de lui-même ? Est-ce que son destin sera de retourner à la ferme, soumis pour toujours à la domination de sa mère et à son discours lancinant ? Non, il ne le voulait pas, car même s’il avait parlé à la légère de l’idée de devenir un mage, il y avait tout de même quelque chose de vrai dans sa déclaration. Il souhaitait ardemment apprendre, avoir la capacité à penser clairement et de façon concise. Pour y arriver deux voies se présentaient à lui, la voie difficile, lente et sans risque en passant par l’Église et la voie dangereuse, difficile mais rapide que pourrait lui enseigner Thur.

L’idée d’intégrer l’Église le révoltait. D’un premier abord, l’esprit d’Olaf était plein de gaité, mais il était très sérieux et avait les yeux d’un artiste, un amour de la beauté et le désir de créer. Selon sa mère, il était né paresseux et préférait se cacher pour regarder les animaux de la forêt plutôt que de passer la charrue dans les champs lorsque c’était son tour. Olaf détestait de tels travaux non pas à cause de leur dureté ou de leur monotonie, mais parce que pour bien l’accomplir la pensée de l’ouvrier doit être concentrée sur sa tâche, sinon son travail en pâtira. Si un homme pouvait labourer tout en réfléchissant aux relations entre Dieu et l’univers, il n’y aurait pas eu de laboureur plus volontaire qu’Olaf, mais le travail de labour consistait à tracer des sillons bien droits dans la terre et celui qui pense à Dieu au lieu de penser à son travail tracera un sillon tordu. Ainsi, pour un homme qui doit gagner son pain, mais qui souhaite avoir une vie intellectuelle, la seule réponse était l’Église.

Olaf aimait se coucher sur le dos au bord d’un cours d’eau ensoleillé, à regarder le ciel qui change, le soleil et le vent qui jouent dans les hautes herbes qui ondulent, et il lui semblait que Dieu et son fils bienheureux étaient responsables de toutes ces merveilles. Il était rempli de la joie de Dieu, avec un sens respectueux de sa miséricorde et de son amour, tout en sachant qu’il était lui-même imparfait et blâmable. Il était plein d’une adoration humble et d’un désir intense de servir. Il savait que Dieu était présent dans son cœur et son esprit. Il voulait le sentir à chaque heure de la journée tout au long de sa vie ... juste l’amour et le miracle de Dieu qui se reflète dans toutes ses œuvres et dans toutes ses créatures. Pourtant, quand il entrait dans une église, toute cette extase avait disparu et il ne pouvait plus la retrouver avant d’être à nouveau à l’extérieur.

Ce fait le troublait beaucoup. Il ne détestait pas l’autorité, au contraire: il était capable de vénération extrême. Non, c’est l’interprétation que faisait l’Église de Dieu et du Christ qu’Olaf trouvait inconciliable avec la sienne, et il savait qu’il serait toujours hermétique à cette interprétation. Tous les dogmes de l’Église semblaient restreindre Dieu aux dimensions d’une pierre étroite. Dieu, qui a créé le monde et la vie, n’était associé qu’à la mort et à la tombe, et l’humanité était contrainte de vivre dans l’attente de la mort et de la tombe. La comparaison entre la simplicité et la pauvreté affirmée par le Christ, son absence de biens matériels, et la cupidité de l’Église toujours en quête de richesses, de pouvoir et de puissance, sont des choses qu’il ne pouvait pas concilier. La liberté totale de choix que le Christ a donné à l’humanité n’a pas trouvé d’écho dans l’enseignement de l’Église. L’Église a fait Dieu à son image, mais Olaf était convaincu (il ne savait pas d’où il le tenait) que Dieu était infiniment plus grand que les pères de l’Église, si savant ou si saint qu’ils soient, puissent le concevoir.

Il songeait à tout cela en regardant le ciel et en cherchant l’inspiration, car il était profondément troublé par sa propre attitude. L’Église montrait une voie facile pour celui qui cherchait sincèrement la vérité et à apprendre. Lui ne pouvait vénérer que celui qu’il pouvait respecter. Etant indiscipliné, inflexible et n’aimant pas contrôler ses pensées, il était entré assez rapidement en conflit avec l’Église qui ordonnait : « Pense ceci, pense cela. Si tu oses penser autrement ce sera à tes risques et périls, ». Ces instructions le révoltaient profondément. Ses commandements arrogants à l’humanité sur ce qu’elle devait penser, ses restrictions intolérables au sujet du plus grand de tous les dons de Dieu, la capacité de penser par soi-même, et sa prétendue infaillibilité ne pouvaient être acceptés sans sourciller par un savant honnête. Sa persécution de ceux qui osaient faire preuve d’audace était une abomination qui remplissait Olaf d’animosité. Persécuter un homme au nom de Dieu, parce que Dieu avait omis de lui conférer le don de la foi (le plus sûre et le plus utile de tous les dons au moyen-âge), est-ce que la bigoterie pouvait aller plus loin ?

A seize ans, un jeune en bonne santé n’avait pas vraiment l’étoffe d’un martyr, il n’était pas fanatique, il aurait plutôt ricané et résisté passivement. Si le bûcher était la récompense de la pensée sincère, il garderait ses pensées pour lui-même, ne les confiant qu’à ceux en qui il pouvait avoir confiance. L’Église n’aura pas son corps pour le brûler. Oui, Thur était sa seule soupape de sécurité et il sera son mentor.

Au moment où Olaf pensait à tout cela, Jan s’agitait et s’étirait. « En vérité, j’ai tellement faim que je mangerais un bœuf.

- Nous devons chevaucher un peu avant de manger, » a dit Olaf en regardant le soleil. « Il doit être onze heure et si nous voulons atteindre Meldrums avant la nuit nous n’avons pas de temps à perdre. Morven dort encore.

- Elle semble fâchée ce matin, » a ajouté Jan. « C’est une créature étrange... que penses-tu d’elle ? Que pensera notre mère d’elle si elle entend parler de ce voyage ? J’ai peur que ce voyage ne nous brouille encore plus avec notre mère et qu’en plus cela ne fera pas avancer notre affaire.

- Mais Morven peut nous aider par son pouvoir.

- Quel pouvoir ? L’esprit qui nous a envoyé la chercher s’est moqué de nous.

- Mais elle a ce Thur cherchait, deux couteaux.

- Oui, mais selon moi elle est surtout un danger et un obstacle.

- Tu parles avec aigreur, tu es déçu car elle n’est pas horrible sorcière, laide à faire peur au diable lui-même.

- Eh bien, tu pensais que les sorcières étaient comme elle ?

- Ce que je pensais n’a rien à voir avec la réalité. J’aurai pu imaginer qu’elle était un esprit des eaux avec son visage très pâle et ses yeux verts. J’ai vu des lys à la surface des étangs, avec le teint blanc et rose comme Morven.

- Je n’ai que faire d’une fille blanche comme un lys, mais plutôt...

- Tu n’avais aucune idée de ce qu’était une sorcière avant que l’esprit nous dise de la chercher » l’a coupé Olaf sèchement.

« Non, nous n’allons pas nous quereller à cause d’elle, ce serait lui donner le pouvoir de faire du mal alors que personne ne le désire, » a répondu Jan en mettant son bras sur l’épaule de son frère.

Désarmé, Olaf s’est mis à rire. « Il s’est passé des choses étranges hier, espèce d’incrédule. 

- Que s’est-il passé ? Je ne réalise pas vraiment. Thur a dit qu’elle a joué de la harpe et que les soldats ont bu et se sont battus, c’est ce qu’ils font toujours. Il n’y a pas besoin d’avoir une harpe pour les faire se battre quand ils ont de la bière, mais je n’ai pas entendu une seule note de musique, et toi ?

- Pas une note et Dieu sait que nous n’avions rien à faire à part rester coucher et écouter. Je jure que nous ne dormions pas. J’avais trop de crampes. »

Jan haussa les épaules, le mystère ne le fascinait pas vraiment, il était déçu par Morven, il n’avait pas une grande foi en leur mission actuelle. Il était naturellement buté et sceptique, et même si dans un moment de passion il avait demandé l’aide de Thur pour invoquer des esprits pour qu’ils l’assistent, il était comme un homme qui se noie et attrape une branche. Il respectait Thur quand il était présent, mais son esprit revenait rapidement à des notions préconçues sur le genre d’aide qu’il souhaitait, c'est-à-dire une bande de partisans, des soldats professionnels bien armés, de l’or pour les payer, tous produits comme par magie et sortis de nulle part par un coup de baguette. L’avancement régulier, étape par étape, devant mener à un résultat prévu par Thur et Morven et suivi patiemment, ne l’inspirait pas du tout, comme c’est le cas avec tant de gens dans ce monde.

« Jan, » a dit Olaf lentement. Incapable d’exprimer ce qu’il pensait et ressentait de la folie d’invoquer une aide surnaturelle, de ne pas y croire quand elle arrivait et de ne pas suivre ses conseils parce qu’ils n’allaient pas dans le sens des plans qu’il avait préparé.

« Quoi ? » grogna Jan de mauvaise grâce.

« Rien.

- Mais tu devais penser à quelque chose.

- Jan, tu n’as pas de patience, tu manques de jugement, tu n’as pas ce qu’il faut pour rassembler des hommes et qu’ils te suivent aveuglément dans ton fol espoir, » a dit Olaf vivement. « Pourquoi est-ce que Thur, Morven, et moi, pour ne rien dire d’une centaine d’autres personnes, risquerions notre vie pour un imbécile qui ne regarde pas plus loin que le bout de son nez ?

- Tu me traites d’imbécile ? » a dit Jan, piqué au vif.

- Oui, et chacun de tes actes et paroles le proclament.

- Comment ?

- Par tes manières affreuses, ton impolitesse, ton incrédulité et d’autres folies indignes de toi. Si les esprits existent vraiment est-ce qu’ils ne sont pas conscient que tu n’y crois pas ? Est-ce ainsi que tu espères te les concilier ? Ne peux-tu pas te contenter d’être conduit pas à pas sur leur chemin ? Ou est-ce que tu veux te replonger à corps perdu dans un abîme où ils pourront te voir mais où tu ne les verras pas ?

- Ce que tu dis n’est pas sot, » a admis Jan après y avoir réfléchi un moment. « Mais, comment un homme peut-il contrôler ses pensées ?

- Aie foi en Morven. Fais ce qu’elle demande, elle est aussi amicale que Thur lui-même. Si elle agit pour toi  sous la direction des esprits, laisse-la faire.

- Ce que tu dis a du sens, mais je ne vois aucun signe montrant qu’elle agit de la sorte.

- N’as-tu pas vu comme Wat et Samkin n’ont obéi à tes ordres qu’à partir du moment où elle les a confirmé ?

- Je fais en sorte que mes hommes m’obéissent ou alors je sais pourquoi ils ne le font pas, » a grommelé Jan.

« Non, frérot, ils obéissaient à notre mère, jusqu’à ce qu’elle leur a montré quelque chose, ses jarretières rouges, je pense, puis ils ont obéi à Morven. »

Olaf a soufflé et continué. « C’est de la sorcellerie ou alors qu’est-ce ? Je l’ai vu de mes propres yeux. Mon conseil est de l’amener à notre mère sans tarder. Il ne faut pas lui refuser l’occasion d’être aimable et hospitalière, et elle le sera, et peut-être que Morven pourra la charmer comme elle l’a fait pour Wat et Samkin ?

- De quoi discutez-vous de façon si solennelle ? » a demandé Morven qui s’était réveillée.

« Soit nous allons à Meldrums, soit on vous amène à Spurnheath voir notre mère, c’est à vous de décider, » a dit Jan.

« Allons à Spurnheath, si votre mère est d’accord, mais je ne voudrais pas la vexer par ma venue.

- Elle est d’humeur très changeante ... Personne ne sait jamais comment elle va réagir.

« Vos deux hommes sont de la fraternité, ou ils savent des choses, si je pouvais m’entretenir avec eux seul à seul, je pourrais en apprendre beaucoup, » a-t-elle dit.

« C’est assez ! A cheval, » a dit Jan.

 

 

 

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