Avec l’Aide de la Haute Magie

Chapitre  XI –  Magie Musicale (5)

par Gerald Gardner

version française Tof & Xavier

 

 

Lorsque Morven les a vus entrer, ce fut la première fois qu’elle prit plaisir à voir un ecclésiastique. Elle jouait le rôle de jeune fille à la perfection, posant la harpe de côté et elle s’est levée poliment en baissant les yeux, les mains jointes devant elle.

Elle avait une telle apparence de joie et d’espoir que l’aigreur et le mécontentement d’Hobden ont encore augmenté. Byles l’a regardée avec convoitise. Lorsqu’il a vu Hobden il a souri avec soulagement, mais quand il a reconnu Stephen son sourire s’est métamorphosé en grognement.

Thur a dit : « Mes bons Frères, j’ai été affligé par la mort de mon frère et ma nièce est venue vivre avec moi pour s’occuper de la maison. Chère Morven, vas tirer quelques bières fraîches pour les Frères Stephen et Hobden. »

Elle sourit et obéit. Un silence pesant est tombé. Normalement Hobden aurait bu et bavardé avec les soldats, mais Stephen n’était ni un ivrogne, ni un libertin et la plupart des moines avait peur de lui, non seulement parce qu’il était le clerc du seigneur abbé et qu’ils s’appréciaient beaucoup, mais aussi parce qu’il inspirait le respect et la peur. Il se comportait avec une dignité et une autorité que personne n’osait remettre en question. Il avait un grand savoir et se mêlait régulièrement des problèmes de laxisme. Hobden s’assit lourdement et se mis à boire en silence. Stephen resta debout, regardant le sergent Byles, se demandant pourquoi Dieu avait-il fait de tels hommes.

« Asseyez-vous, mon Frère, » a dit Byles d’un air maussade parce qu’il ne pouvait plus supporter son regard inquisiteur.  

- Bonsoir, Byles. Je ne pensais pas vous trouver ici en l’absence de l’Ecuyer, il me semble que les habitants du village seraient mieux gardés si vous étiez à votre poste. »

Byles se détourna en murmurant quelque chose à propos d’étrangers et de son devoir de les rechercher. « Vous savez aussi bien que moi ce que vous a amené ici, » a dit Stephen puis comme si l’affaire ne présentait plus aucun intérêt, il s’est détourné lorsque Morven est entrée et l’a débarrassée du pichet.

« Merci, mon frère » dit-elle en soufflant et elle est allé à l’armoire où étaient rangées les chopes, elle les remplit avec grâce et les porta aux deux invités. Byles la regardait sournoisement en essayant de concilier dans son esprit embrouillé, la mine qu’elle avait maintenant avec la malice avec laquelle elle s’en été tirée juste avant.

Elle s’est assise et a reprit sa harpe et a laissé courir ses doigts sur les cordes.

« Une chanson, une chanson, » a scandé l’un des soldats vautré sur son tabouret.

« Non, » a croassé Hobden, résolu à gâcher le plaisir des autres s’il ne pouvait pas s’amuser lui-même. « Les chansons sont profanes. Chantez-nous un hymne sacré ou ne chantez pas du tout. » Il s’est penché sur son tabouret, serrant ses genoux, son humeur était massacrante alors que Stephen le regardait avec un sourire moqueur.

Morven ne connaissait aucun hymne religieux mais avait peur de l’admettre. « Chantez votre cantique préféré mon Frère, » murmura-t-elle docilement en se penchant en avant pour scruter son visage maussade. Alors Hobden a commencé à chanter, très mal, il n’y avait ni rime ni rythme mais Morven s’efforça de l’accompagner. Le vacarme était épouvantable, puis ça s’arrêta. Du regard chacun accusait l’autre d’en avoir été responsable.

« Arrêtons les cantiques ou nous allons devenir fou, » s'écria Byles avec sagesse « Jouez pour nous, maîtresse, jouez ! »

Morven s’est exécutée. Elle a commencé par une ballade populaire qu’appréciaient tous les saltimbanques, puis, sans s'arrêter, elle est passée à un autre morceau moins connu puis à un troisième.

Thur et Stephen ont discuté à voix basse jusqu’à ce que le Frère constate que son compagnon était peu à peu absorbé par la musique tout comme les hommes d’armes. Ils étaient silencieux maintenant, ils écoutaient la musique en buvant et Stephen, qui n’avait pas du tout l’oreille musicale (pour lui toutes les musiques se ressemblaient), tout en n’écoutant pas, semblait tout aussi absorbé par l’interprétation de Morven.

Thur était stupéfait par sa compétence, elle semblait faire parler la harpe. Il admettait que sa musique s’était améliorée depuis sa première tentative. Avec chaque moment qui passait, elle avait plus d’assurance comme si elle n’avait pu jouer depuis des années et qu’elle pouvait à nouveau s’exprimer avec joie et exaltation. Insensiblement elle s’était éloignée de la ballade et semblait improviser : un rythme régulier et monotone et pourtant incroyablement doux. Le cœur de Thur se serrait à nouveau devant sa beauté, la blancheur de son visage contrastait avec la lumière dans ses cheveux et le vert-gris avec des éclats d’or de ses yeux qui brûlaient d’une étrange intensité.

Le battement régulier a continué. Tous les hommes étaient fascinés, ils regardaient ses mains, ses bras, courbés et minces comme des cous de cygnes au crépuscule. Elle avait de vraies mains de musicien, belles et agiles, habiles mais artistiques et sensibles, avec de grands doigts souples et écartés. La musique pulsait, d’une douceur infinie et pourtant incroyablement excitante, à mesure que le tempo s’accélérait.

Thur regardait et écoutait avec le même silence que tous les autres, sauf Stephen qui semblait insensible, perdu dans ses propres pensées, mais regardait tout de même Morven.

« Que passe-t-il ? » se demandait Thur. Les doigts à l’extrémité rose lui faisaient penser à de petites vagues blanches qui sautaient sur le sable jaune. Est-ce que ce battement lancinant, était celui des sabots d’un cheval qui galopait au loin ? Non, c’est le battement d’un cœur, le battement constant de son propre cœur qui battait au rythme de la vibration de ces cordes, mais bien plus vite qu’un cœur ne doit battre normalement. Une pensée quelque peu terrifiante. Il a lancé un coup d’œil autour de lui et a vu avec un frisson dans le dos que cela faisait le même effet aux autres... leurs visages avaient tous viré au rouges, presque violet et leurs yeux sortaient de leurs orbites. Tous sauf Stephen profondément plongé dans ses propres problèmes. Il semblait maintenant que Morven ait pris conscience de l’état de Thur, ses yeux l’avertissaient. Mais de  quoi ? « Taisez-vous, restez immobile, » un message semblait marteler dans son cerveau, mais il était immobile comme un mort. Que voulait-elle dire ? Le battement augmentait progressivement toujours plus insistant, jusqu’à ce que les cordes semblent au bord de la rupture et les auditeurs à la limite de l’asphyxie. Thur a cessé de regarder Morven pour se pencher sur les autres. Ils étaient tous toujours fascinés par le mouvement des bras blancs. Elle était splendide avec ses épaules d’un ivoire brillant et sa belle chevelure rougeoyante. Elle était des plus désirables. Le battement s’est poursuivi, battant dans son cerveau et son cœur, il sentait qu’il battait plus vite que ne le devrait un cœur, en suivant exactement le rythme de la musique. Mais il était médecin et savait qu’un cœur ne doit battre aussi vite que ça. Est-ce qu’il s’agissait  là des vagues de la passion ? Il aurait été heureux de rester assis pour toujours à l’écouter jouer pour lui. Il voulait être le seul à en profiter. La rage l’étouffait, il avait un besoin irrépressible de se lever et de faire sortir les autres de la maison afin de pouvoir rester seul avec elle.

Les yeux de Morven ont à nouveau captés ceux de Thur, lui disant : « Restez tranquille. » Puis, il a remarqué que Frère Stephen regardait. Il attendait que quelque chose se produise. Il avait réalisé qu’elle leur faisait quelque chose et Morven regardait aussi et attendait. Le battement s’accéléra légèrement et Thur réalisa que son cœur faisait de même en battant toujours plus rapidement. Il fit mine de se lever mais Morven fronça les sourcils tout comme Stephen et il se rassit.

Morven faisait des choses étranges qui les rendaient tous fous et Frère Stephen le savait ! La musique s’accéléra à nouveau, se transformant en une sorte de grondement et qui a affolé son cœur.

Soudain Hobden s’est penché en avant et a envoyé son gros poing entre les yeux de Byles en hurlant : « Cesse de la regarder avec ce regard pervers, espèce de singe poilu ». En même temps l’un des soldats a envoyé sa chope à la tête d’un autre à l’autre bout de la pièce. Il a atteint sa cible. Puis ce fut le chaos. Thur et Stephen se sont contentés d’observer. Morven est allée dans un coin avec sa harpe toujours en jouant, d’un air triomphant. Tout le monde avait une épée ou un bâton à la main, tapant furieusement, se ruant sauvagement les uns sur les autres, les armes levées pour frapper sans réussir à se faire vraiment mal. Ils sont tous allés dans la boutique où ils ont fait pas mal de dégâts avant de déboucher dans la ruelle. Byles bondissait comme un chat échaudé. Ils s’insultaient les uns les autres dans une rage toujours plus forte, et continuaient à se taper dessus, Frère Hobden tapant tout aussi fort que les autres.

Thur et Stephen se sont précipités vers la porte donnant sur la rue, regardant dans l’obscurité. Peu à peu le tumulte s’est calmé et les combattants à bout de souffle se regardèrent avec étonnement, grâce à leurs bonnes armures ils ne se sont pas fait très mal.  

Morven tout en continuant à jouer est allée à la porte pour regarder elle aussi. Elle jouait maintenant un air apaisant, calme et pacifique, comme un baume pour l’esprit et elle termina par un accord doux. Thur la regardait en silence.

Frère Stephen parlait avec conviction : « Ça c’est un savoir secret de sorcières, le savoir est utile. Ils ne reviendront pas, je vous souhaite une bonne nuit, » et il est sorti dans l’obscurité. Thur a refermé la porte pendant que Morven reposait la harpe et courait à l’étage pour libérer les deux frères.

 

 

 

 

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