Lettre du 28 août 1986

 

de Doreen Valiente au Dr Greenfield

version française Tof

 

 

Cher Dr. Greenfield,

 

     Votre lettre du  19 août vient juste d’arriver et je l’ai trouvée si intéressante que j’y réponds tout de suite. Je pense que vous aurez aussi bientôt des nouvelles des Farrar, car si vous n’en avez pas pour le moment c’est parce qu’ils sont en train de déménager. Ils m’ont dit dans leur dernière lettre qu’ils n’aimaient pas leur domicile actuel et cherchaient quelque chose de mieux, c’est peut être ce qui s’est passé. Et avec tous leurs chiens, chats, poules, ânes et toute leur basse-cour ce doit être une sacrée entreprise !

 

     Lorsque je vous avais écrit, j’avais l’impression que vous aviez lu mes échanges de courriers plutôt houleux avec Aidan Kelly dans les pages du magazine IRON MONTAIN. En lisant votre seconde lettre je n’en suis plus certaine. Si ce n’est pas le cas je dois vous en parler car cela peut concerner votre recherche. Tout a débuté avec un article dans le numéro d’été 1984  d’Aidan Kelly intitulé « Inventing Witchcraft » qui est basé sur son manuscrit qui circule depuis quelques temps aux U.S.A.. Apparemment, certaines personnes aux U.S.A. ont signalé à l’éditeur d’IRON MOUNTAIN, Charles Clifton, qu’on devait me donner un droit de réponse puisque j’étais fréquemment mentionnée nommément dans cet article et dans le manuscrit. Apparemment, ça n’est jamais arrivé à personne jusqu’à ce jour ! Je soupçonne que ces gens sont ceux qui m’ont fait parvenir une copie du fameux manuscrit de Kelly via un ami qui visitait la région pour que j’en fasse une photocopie. 

 

     En tout cas, M. Clifton m’a envoyé une copie de son magazine et j’ai rédigé une réponse à l’article de Kelly, qui fut publiée dans le numéro d’automne 1985 avec d’autres remarques de Kelly qui étaient telles que j’ai envoyé une autre lettre en demandant des excuses et une rétractation. Je suis heureuse de dire que cette lettre a été publiée dans son intégralité dans le numéro de printemps 1986, j’ai aussi reçu une lettre d’excuse de M. Kelly et j’attends des excuses publiques dans le magazine (autant que je sache, le numéro de printemps 1986 est le dernier à avoir été publié).

 

     J’ai eu l’impression que la Société Ripley a passé les documents de Gardner, dont YE BOOKE OF YE ART MAGICAL, à Aidan Kelly. On m’a aussi dit que ces textes ont été proposés à la vente aux U.S.A. pour un prix très élevé, en disant que c’était « le Livre des Ombres original »  (enfin la partie où il y a YE BOOKE OF YE ART MAGICAL). Je suis donc heureuse que vous m’ayez donné ces éclaircissements. Dans le long manuscrit de Kelly, (il est prévu qu’il soit publié mais pour le moment il n’a pas d’éditeur) il donne une transcription des rituels d’initiation de YE BOOKE OF YE ART MAGICAL qui m’intéressent beaucoup. Vous savez, dans mon vieux livre que Gerald Gardner m’a donné, et dont vous avez sans doute vu une photo dans THE WITCHES’ WAY, il y a deux pages dactylographiées, tapées sur la machine du vieux Gerald dans son style inimitable et elles m’ont toujours intriguée car elles semblent être une version alternative du rituel d’initiation, il y a un curieux détail où la candidate porte un couteau dans ses cheveux, un couteau sur lequel on devra prêter serment. J’ai failli plusieurs fois jeter ces deux vieilles pages en mauvais état, mais les Dieux soient loués, je ne l’ai pas fait, car dès que j’ai vu la transcription de YE BOOKE OF YE ART MAGICAL, j’ai réalisé que les pages dactylographiées étaient un brouillon du rituel de ce livre ! 

 

     J’ai aussi réalisé autre chose. Le curieux détail de la femme qui était initiée (et cela ne pouvait être qu’une femme, n’est-ce pas ?) et qui avait un couteau dans ses cheveux provient d’un rituel de l’O.T.O. rédigé par Aleister Crowley qui a été publié vers 1913 dans le dixième numéro de THE EQUINOX et qui a été republié depuis, mais dans une version approximative, dans le livre de Francis King SEXUALITY, MAGIC AND PERVERSION, qui date de 1971. Mais en ce qui nous concerne, le version de l’O.T.O., donc de Crowley, de ce rituel se trouve aussi dans le « Livre des Ombres » du vieux Gerald dont il a été question plus haut (comme vous l’aurez réalisé en voyant la façon dont écrit Gerald, il a copié toutes sortes de choses qui l’intéressaient, je n’avais donc pas réalisé leur signification plus tôt).

 

     Je pense que j’ai raison de conclure que tout cela indique que mon « Livre des Ombres » que Gerald m’a donné est plus ancien que YE BOOKE OF YE ART MAGICAL. Bien sûr, d’autres recherches pourront apporter plus de lumière sur cela et mèneront peut être à une conclusion différente, mais pour le moment cela semble être une déduction raisonnable.

 

     Il y a autre chose. Plus haut je parle du « Livre des Ombres du vieux Gerald », mais ce n’est que le nom que je lui ai donné. Le manuscrit lui-même n’a pas de titre. A ce sujet, j’ai fait cet été une petite découverte déplaisante. Nous avons ici un gros bouquiniste appelé Quinto’s, qui est spécialisé dans les livres traitant de l’occulte. C’est en fouillant dans ses rayonnages que j’ai trouvé de vieux magazines dont le nom était THE OCCULT OBSERVER. Ils dataient de 1949 et étaient publiés au 49a Museum Street et leur éditeur était Michael Juste. Je sais que Michael Juste et Michael Houghton, qui a publié HIGH MAGIC’AID, étaient une seule et même personne et que Michael Houghton était à cette époque le propriétaire de la vieille Librairie Atlantis (dont je suis heureuse de dire qu’elle existe toujours). Donc, il y avait une publicité pour HIGH MAGIC’AID « qui vient de sortir » dans le numéro 3 du magazine daté de 1949. En feuilletant le magazine mon regard a été attiré par les mots « The Book of Shadows » ! Qu’était-ce que cela ?

 

     Il s’avère que c’était le premier de deux articles du chiromancien Mir Bashir sur un manuscrit mystérieux qu’il avait vu en Inde. Il disait : « C’était en 1941, à Bombay, que j’ai entendu parler du Livre des Ombres. L’histoire dit que c’était un manuscrit ancien écrit en sanscrit, il y a un millier d’années et parlant des lignes de la main. » Il raconte comment il a trouvé un expert qui possédait une copie de ce livre mystérieux et pratiquait cette forme de divination  et qui lui avait prédit, pour lui et sa famille, des choses qui se sont réalisées.

 

     Mais cet article ne parle pas du tout de sorcellerie ! Le Livre des Ombres oriental semble ne rien à voir du tout avec la sorcellerie. Mais quelle étrange coïncidence je trouve, que le premier des ces articles est justement paru dans le magazine où il y avait une publicité pour HIGH MAGIC’S AID qui « vient de sortir » et en plus le magazine et le livre avaient le même éditeur, surtout que si je me souviens bien on ne trouve pas l’expression « Livre des Ombres » dans HIGH MAGIC’S AID !

 

     J’ai acheté les deux magazines en question et je les ai toujours (le prix était exorbitant, comme d’habitude, mais j’ai l’impression que c’était plutôt important). Est-ce qu’il s’agit-là qu’une coïncidence à partir de laquelle une personne désagréable pourrait tirer des conclusions déplaisantes ?  Ou alors c’est là que le vieux Gerald a découvert l’expression « Le Livre des Ombres » et l’a adoptée car il s’agissait d’un nom plus poétique pour un manuscrit magique que, par exemple « Le Grimoire » ou « Le Livre Noir » » ?

 

     Je n’affirme pas connaître la réponse, mais je pense que c’est plus qu’une coïncidence. On retrouve quelques anciennes traces rapportant que des sorcières possédaient des livres secrets, mais généralement elles l’appelaient « le Livre Noir ». En plus, comme Stewart Farrar l’a fait remarquer dans THE WITCHES’ WAY, autrefois la plupart des gens ordinaires ne savaient ni lire ni écrire.

 

     Tout cela est encore compliqué par une affirmation récente de Cecil Williamson dans, je crois, THE CAULDRON le bulletin sur la sorcellerie, selon laquelle à l’époque où il partageait le Moulin des Sorcières avec Gerald sur l’Ile de Man il y avait un petit livre manuscrit auquel Gerald attachait une grande valeur car il contenait les rituels de la sorcellerie, mais il a été dérobé un jour et il ne l’a plus jamais retrouvé. Cela s’est passé, je pense avant que je rencontre Gerald. Je dois relire l’article et voir ce que dit exactement Williamson. Bien sûr, comme vous le savez probablement, lui et Gerald se sont séparés en mauvais termes, mais même ainsi, je ne vois pas de raison claire pour ne pas le croire, sur ce point en tout cas.    

 

     J’aimerais vraiment savoir qui sont les « deux autorités » qui ont « authentifié » YE BOOKE OF YE ART MAGICAL comme étant de mon écriture et celle de Gerald. Pensez-vous pouvoir en parler avec ceux de Ripley ? Car personne n’est venu m’en parler. Comment ont-ils fait ? Ils ont utilisé une boule de cristal ? Comme je l’ai expliqué dans IRON MOUNTAIN, la première fois que j’ai entendu parler de l’existence YE BOOKE OF YE ART MAGICAL c’est quand j’ai reçu une lettre d’un homme de Toronto qui mentionnait ce texte. C’était en juillet 1982.

 

     Je suis heureuse que vous ayez acquis la Charte signée « Baphomet ». Ce que vous me racontez réveille un souvenir. Je me souviens maintenant que celle que j’ai vue il y a des années dans le Musée de Gerald était en effet de la main de Gerald, de son écriture magique, mais signée par Aleister Crowley. J’ai rencontré une fois feu Gerald Yorke à Londres il y a de nombreuses années et je lui ai parlé de la Charte et il m’en a dit « Bien, vous savez, Gerald Gardner a payé environ 300£ pour ça. » Ce peut être vrai ou non. 300£ était à cette époque une somme bien plus énorme qu’aujourd’hui. Mais cela ne cadre pas avec ce qui est dit dans le livret du Musée que je vous ai cité et selon lequel Crowley a donné la Charte à Gerald juste par amitié. J’ai toujours trouvé curieux que Gerald écrive la Charte et que Crowley la signe, mais ça s’est peut être passé alors que Crowley était très vieux et malade. Je pense qu’ils n’avaient pas de document imprimé pour cela, ou bien ?

 

     Je ne sais rien d’un procès lié à l’O.T.O. dans votre pays. On n’en a pas parlé ici. Cela semble très intéressant ! Mais je connaissais l’existence d’un Chapitre de l’O.T.O. en Californie à l’époque de la mort de Crowley, car il me semble que ses cendres leur ont été envoyées. Il a été incinéré ici à Brighton, au grand scandale des autorités locales qui se sont insurgées contre le « service funéraire païen ». Si vous parlez du groupe dont Jack Parsons était membre (avec le trop fameux Ron Hubbard), alors il y a un autre point curieux que je souhaite porter à votre intention. J’ai un remarquable petit livre de Jack Parsons intitulé MAGICK, GNOSTICISM AND THE WITCHCRAFT. Malheureusement il n’est pas daté, mais Parsons est décédé en 1952. La partie sur la sorcellerie est particulièrement intéressante car il prédit un revival de la sorcellerie sous la forme de l’Ancienne Religion. Mon exemplaire a été publié en 1979 par 93 Publishing de Québec au Canada. Je ne sais pas s’il avait déjà été publié avant. Je trouve que cela fait vraiment réfléchir. Est-ce que Parsons a écrit cela vers l’époque où Crowley était en contact avec Gardner et qu’il communiquait peut être avec le groupe de Californie et leur en a parlé ?

 

     J’ai un exemplaire de MAGICK WITHOUT TEARS, qui est tout à fait captivant et intéressant mais en aucune façon l’œuvre d’un esprit affaibli. Mais je n’ai aucune raison de douter de ce qu’Arnold Crowther m’a dit, car je ne vois pas pourquoi il aurait menti à ce sujet. Vous aurez sans doute remarqué que Gerald sur la page de titre de HIGH MAGIC’ AID affirme être « O.T.O. 4 = 7 », mais je suis d’accord avec vous au sujet du « Prince de Jerusalem » car dans mon exemplaire de SECRET RITUALS OF THE O.T.O. de Francis King on en parle comme d’un degré intermédiaire entre le Quatrième et le Cinquième Degré. Je ne prétends pas connaître la réponse à ce problème, mais bien sûr le vieux Gerald était aussi membre de la Co-Maçonnerie et un Franc-Maçon ordinaire (ce qu’il n’aurait pas dû être, bien sûr, puisque la Grande Loge de Grande Bretagne ne reconnaît pas la Co-Maçonnerie). Je dois aussi dire qu’à l’époque où Arnold Crowther a présenté Gerald à Crowley, Arnold lui-même n’était pas membre du culte des sorcières, ce ne fut le cas que bien plus tard. 

    

     Je pense que vous avez probablement enfoncé le clou au sujet de ce prétendu « Livre des Ombres de la main de Crowley » car même si j’en entends parler depuis des années, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui l’avait réellement vu – et comment savaient-ils qu’il était de la main de Crowley ? Avaient-ils un document avec lequel comparer, comme les photocopies du manuscrit original du LIVRE DE LA LOI ?

 

     Selon Aidan Kelly, le seul « Livre des Ombres » qu’a Ripley c’est YE BOOKE OF YE ART MAGICAL, et apparemment ils se le sont procuré qu’à cause d’un oubli de la part des Wilson. Il a été découvert dans un vieux meuble. Vous avez raison lorsque vous supposez que le jeu de Tarot Crowley-Harris n’a été publié qu’il y a quelques années, ainsi la présence d’une carte (ou le dessin d’une de ces cartes) de ce jeu est intéressant. D’après ce que dit Kelly de YE BOOKE ce serait la carte du Diable (le N°XV) du Tarot de Waite (est-ce que ce type ne peut pas dire une seule fois quelque chose d’exact ?)  

 

     J’aimerais sincèrement voir la collection Ripley, mais c’est hors de question pour le moment. Je suis désolée que vous n’y ayez pas vu mes documents de la Golden Dawn. C’est une série de vieux carnets – hé, une minute ! Ne sont ils pas parmi les carnets attribués à Gerald Gardner ?

 

       Nous ne connaissons pas toute l’histoire de YE BOOKE OF YE ART MAGICAL, et nous ne la connaîtrons peut être jamais. Mais pour le moment, tout ce que vous m’avez dit renforce mon idée qu’il s’agit peut être d’une sorte d’hybride entre la Sorcellerie et l’O.T.O.  Vous savez, Crowley et les siens avaient l’habitude de faire croire aux gens que si une organisation occulte souhaitait survivre dans le nouvel Eon d’Horus, elle devait accepter le Livre de la Loi et suivre la ligne de l’enseignement de Maître Therion. Je me demande si ce livre était une tentative pour y parvenir ? Y a-t-il quelque chose comme une date quelque part dans le manuscrit ? (Juste par curiosité, combien Ripley demande pour ce livre et qu’est ce que cela ferait en monnaie anglaise ?) 

 

     Un mot au sujet des textes sur le « Vieux George Pickingill ». D’abord, lorsqu’il en a été  question dans les revues sorcières, les gens ont  considéré qu’ils étaient authentiques, mais depuis on a commencé à en douter, honnêtement je ne sais pas grand-chose sur leur authenticité. Ceux qui ont essayé de vérifier (comme une femme de l’Université de Cambridge) n’ont pu trouver aucune confirmation. Ainsi, que l'acheteur soit vigilant

 

     Je ne suis pas parvenue à trouver un lien quelconque entre Dorothy Clutterbuck et le prétendu groupe Rosicrucien  dirigé par Frère Aurelius. Elle peut, ou non, en avoir été membre. Mais « Dafo » en fut membre, de cela il y a des preuves. Et « Dafo » connaissait Old Dorothy, je le sais car j’ai connu « Dafo ». Mais je cherche toujours davantage de preuves noir sur blanc. 

 

     Il faut bien arrêter cette lettre quelque part ! Mais je suis fascinée par tout cela, et je vais certainement continuer à vous écrire et j’apprécierais aussi votre aide. Meilleurs vœux et

« Soyez Béni …………………. »   

 

                        Sincèrement,

                                             Doreen Valiente

 

 

 

 

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